抖阴社区

3.2 Les règles du date

Depuis le début
                                        

— On rentre ? initié-je.

Elle ouvrit de grands yeux surpris dans ma direction, mais elle me suivit bien vite à l'intérieur du bâtiment.

— Bonjour, salué-je.

Elle en fit de même à ma suite. Le libraire, un homme bedonnant au regard aimable, une calvitie apparente, un regard chaleureux surmonté par des lunettes à monture carrée posées sur le nez, nous renvoya nos salutations et revint à une cliente qui l'attendait à la caisse.

Comme partout dans cette petite ville, la plupart des commerces étaient calmes et ne grouillaient pas de monde, même le week-end. Ici, seulement quelques passionnés de
littérature qui venaient voir les nouveautés reçus dans l'une des seules librairies des alentours.

Je pris un instant pour me plonger dans cet univers fait de papiers. Les ouvrages semblaient avoir pris d'assaut ce lieu en bois d'ébène. C'est comme si la librairie était figée dans le temps, nous replongeons au début dix-neuvième avec ses lambris, son escalier fait dans le même bois donnant accès à un autre étage grouillant lui aussi de livres.

J'avais envie d'en parler à Perséphone, mais je m'aperçus bien vite que la littérature était ma rivale. Mais ça, je l'avais déjà deviné auparavant.

C'est avec un sourire non dissimulé que je la rejoignis face à une étagère où elle effleurait le dos de chaque ouvrage qui lui passait sous la main avec douceur et un intérêt passionné,
suivant la trace des lettres d'or en reflet qui composaient la côte.

— Si j'avais su que tu aimerais, je t'aurais emmené ici depuis longtemps, murmuré-je à proximité de son cou en me baissant à son niveau.

Un léger frisson de surprise la fit tressaillir. Je me retiens à grande peine de réduire l'espace physique entre nous. Ne tournant la tête que légèrement dans ma direction, sans que son index ne quitte l'ouvrage, elle chuchota :

— Oui, tu aurais dû, sourit-elle. C'est tellement beau, fit-elle admirative en jetant un nouveau regard à la librairie. Et c'est des éditions anciennes. Tu as vu, c'est que des éditions reliées. Regarde, fit-elle en dégageant le livre qui avait trouvé grâce à ses yeux pour me le montrer.

— Tu vois ?

Je ne m'y attendais pas, absolument pas, mais à cet instant précis, elle fit ce qu'elle n'aurait jamais fait dans l'enceinte de l'école ou très difficilement. Elle me prit la main gauche et la posa sur la couverture du livre. Et elle la guidait sur le velours bleu afin que je me rende bien compte que ce livre était précieux. Elle déplaçait mes doigts sur les lettres d'or, comme si je pouvais en lire le titre par cette technique comme on peut lire du braille.

Elle pensait que j'allais m'extasier comme elle, alors que moi, tout ce que je sentais ou parvenais à sentir, c'est la chaleur de sa main qui me touchait véritablement. Pas un contact
furtif, pas un frôlement : sa paume sur le dos de ma main.

— Tu vois ? demanda-t-elle à nouveau, en me regardant dans les yeux.

Ses yeux bruns brillaient d'une flamme nouvelle et pour la seconde fois, je fus jaloux de ces livres. Est-ce que je lui faisais le même effet, dans le secret ? Mais d'un côté, si les livres
avaient ce pouvoir de nous rapprocher alors je lui offrirai toutes les éditions reliées de tous les
livres qu'elle désire.

Tout en la regardant, je pris le livre dans mon autre main et j'enroulais la main qu'elle tenait déjà autour de la sienne, lui caressant les doigts. J'attirais sa main à moi et lui répondit :

— Je vois...

Dans un réflexe, un élan d'admiration pour elle, je posais mes lèvres sur ses phalanges dans un baisemain lent, doux et amoureux. Je savais que l'usage veut qu'on n'embrasse pas
réellement les mains d'une femme, mais dans notre situation, c'est tout ce que l'on pouvait s'autoriser. Je ne voulais pas franchir les limites, mais la respecter.

Habibi, pensé-je. Mais c'était trop tôt pour lui dire.

— Amir, souffla-t-elle gênée. Tu... Tu es incorrigible quand tu veux, dit-elle en me souriant.

— Si tu me dis de ne plus le faire, je ne le referai plus jamais.

— Non, c'est pas ça.

— Quoi alors ?

Elle me regardait, mais à sa façon de fouiller dans mes yeux, je sentais qu'elle voulait dire bien plus et que notre proximité lui faisait le même effet qu'à moi.

— Tu me rends nerveuse quand tu fais ça, même si c'est agréable. Et à force d'être collés comme ça, le gérant va croire qu'on vole des livres, nota-t-elle en désignant du regard la caisse au fond du bâtiment où le libraire était occupé avec un jeune couple.

Je les enviais aussitôt en les voyant main dans la main.

— Tu as vraiment envie d'aller au cinéma ? lui demandé-je implorant.

— Pourquoi ?

— Parce qu'au cinéma, on ne peut pas se parler. C'est pas vraiment idéal pour un rendez-vous.

— Rendez-vous ?

— On est que tous les deux depuis quinze minutes. On achète rien. Moi, j'essaye d'attirer ton attention... c'est un rendez-vous galant.

— Si c'était vraiment un rendez-vous galant, on serait en train de manger, me défia-t-elle avec son sourire qui me faisait baisser la garde.

— Ben vient, on y va alors, annoncé-je en marchant en direction de la sortie.

— Où ? demanda-t-elle le livre en main.

— On va manger, dis-je en ouvrant la porte. Après tout, c'est un rencard.

Devant sa surprise, je lui envoyais un clin d'œil auquel elle répondit par un sourire amusé quittant enfin Jane Austen pour moi.

♥︎

Un temps pour t'aimerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant