Manipulation

By StrawberryDark

339K 8K 1.3K

Dans le jeu de la éܳپDz, il n'y a qu'une seule règle : ne jamais tomber amoureux. Reyna vit à Athéa, un p... More

[RÉÉCRITURE POSTÉE]
PROLOGUE
CHAPITRE 1
CHAPITRE 2
CHAPITRE 3
CHAPITRE 4
CHAPITRE 4 BIS
CHAPITRE 5
CHAPITRE 6
CHAPITRE 7
CHAPITRE 8
CHAPITRE 9
CHAPITRE 10
CHAPITRE 11
CHAPITRE 12 | PARTIE 1
CHAPITRE 12 | PARTIE 2
CHAPITRE 13
CHAPITRE 14
CHAPITRE 15
CHAPITRE 16
CHAPITRE 17 | PARTIE 1
CHAPITRE 17 | PARTIE 2
CHAPITRE 18 | PARTIE 1
CHAPITRE 18 | PARTIE 2
CHAPITRE 19 | PARTIE 1
CHAPITRE 19 | PARTIE 2
CHAPITRE 19 BIS
CHAPITRE 20
CHAPITRE 21
CHAPITRE 22
CHAPITRE 23
CHAPITRE 24
CHAPITRE 26
CHAPITRE 27 | PARTIE 1
CHAPITRE 27 | PARTIE 2
CHAPITRE 28
CHAPITRE 29
CHAPITRE 30 | PARTIE 1
CHAPITRE 30 | PARTIE 2
CHAPITRE 31
CHAPITRE 32
CHAPITRE 33
CHAPITRE 34 | PARTIE 1
CHAPITRE 34 | PARTIE 2
CHAPITRE 35
Remerciements
Info Tome 2
Come back 🔥
Instagram

CHAPITRE 25

1.4K 120 30
By StrawberryDark

REYNA





Le réveil est rude. Comateux. Mes paupières épousent lourdement la courbe de mes yeux et leur poids insurmontable m'oblige à déployer des forces surhumaines pour les faire frémir. Le tremblement est poussif. Douloureux.

Mon regard branlant s'acharne à faire la mise au point parmi les jeux d'ombre et de lumière distordus. Les rayons de la lune m'aveuglent. L'image sans couleur s'assemble de formes indéfinies. Après quelques papillonnements, je parviens enfin à distinguer une table basse dans la pénombre de la pièce. La clarté lunaire met en évidence un tapis brun à poil long et m'expose l'immense baie vitrée menant au jardin.

La bouche pâteuse, je prends finalement conscience que le revêtement moelleux sur lequel je repose est un canapé. Mon corps engourdi et courbaturé se redresse sans mon accord, déclenchant une salve d'étoiles dansantes devant mes pupilles. Désormais assise sur le bord de l'assise, une pointe de douleur aigüe se réveille dans mon épaule droite. Je grogne et grimace. Ma main vient masser la zone endolorie quelques instants, jusqu'à ce que je réalise l'endroit dans lequel je me trouve.

Je reconnais aisément le salon des Carthini, les tons gris et prune s'accordant parfaitement avec le mobilier design. La maison est noire, silencieuse. Seul le souffle de la climatisation vient troubler mon moment de solitude.

Qu'est-ce que je fais ici?

Les souvenirs me rattrapent et torpillent ma conscience avant que je ne puisse les esquiver. Ils percutent mon crâne avec une violence proche de la torture psychique. Le moindre détail, la moindre seconde que j'aurais pu oublier dans les bras de Morphée me revient avec une précision impressionnante. L'amertume m'arrache un soupir tremblant.

Je n'ose pas regarder l'heure. Peut-être suis-je en retard pour la session nocturne ? Au fond, quelle importance ? Je n'ai pas envie de le revoir. Je me sens incapable d'affronter son regard. La honte m'étreint, enserre ma poitrine jusqu'à m'étouffer. Et la colère... Par Athéna, la colère me réduira en cendres dès l'instant où il posera les yeux sur moi.

Lentement, je me lève, fébrile, et m'aide de mes bras pour trouver mon équilibre. Ma tête pèse atrocement sur mes muscles cervicaux et me lance au moindre mouvement. Le sédatif que Seven m'a injecté pour me calmer imprègne encore mon organisme, ralentissant mes facultés motrices et cognitives. Je la cherche. Si elle m'a amenée ici alors elle ne devrait pas être très loin. À moins qu'elle ne soit déjà partie pour The Rule ?

Quand je constate son absence dans les environs, j'abandonne mon entreprise au profit de ma fatigue. Qu'importe. Je n'ai pas besoin d'elle de toute façon. Je ne peux rien lui dire de ce qu'il s'est passé. En repensant à cet acte insensé, je manque d'air. Ma respiration éprouve une résistance dans ma gorge et peine à sortir. Mon cœur s'emballe, menace d'exploser.

J'avance alors, me raccrochant à chaque meuble sur mon passage pour ne pas tomber. Mes jambes flageolantes me portent jusqu'à la baie vitrée qui coulisse lentement pour me permettre de sortir sur la terrasse. J'inspire profondément pour freiner la panique qui m'envahit petit à petit. L'air du soir me fait du bien, m'apaise. De plus en plus en confiance, je décide alors de m'asseoir sur les marches en bois menant au jardin.

Ce baiser est un cataclysme sans nom. Les caméras ont tout filmé de l'abomination qui s'est déroulée ce matin. Des gens vont être au courant, des gens importants qui me demanderont des explications. Les Sénatrices du panel qui m'interrogera demain d'abord, puis Zelda Call. Je ne saurais même pas comment répondre à leurs questions. Comment leur dire que je lui ai sauvé la vie ? Et qu'après il a... que nous avons...

Mes mains viennent frotter mon visage mortifié. Comment a-t-il pu faire une chose pareille ?

— Ah ! Te voilà.  J'allais justement venir te réveiller.

La voix angélique de Myra me sort de mes interrogations tortueuses. Je tourne ma tête vers elle et l'aperçois, un sourire chaleureux étirant ses lèvres. Sa tenue décontractée et son bandeau noué autour de sa tête suggèrent qu'elle était en train de travailler sur de nouveaux modèles dans son atelier.

— Seven est déjà partie, mais tu n'es pas en retard, rassure-toi, poursuit-elle avec bienveillance. Tu veux que je t'appelle un dropper ?

— C'est gentil Myra, mais je crois que je vais rester là encore un peu.

Je m'entends dire ces mots sans réellement savoir s'ils sortent de ma propre bouche.

— Quelque chose ne va pas, Reyna ?

Ses sourcils se froncent avec inquiétude. Je reste bouche bée pendant un instant, ne sachant que répondre. Je n'ai pas l'habitude qu'on me pose ce genre de question.

— Je... Non, tout va bien. Ça va. Je suis juste un peu fatiguée, balbutié-je avec un manque certain de conviction.

Myra ne semble pas plus convaincue. Elle croise ses bras sur sa poitrine, suspicieuse, alors je continue de parler pour l'empêcher de me questionner.

— Je voudrais m'excuser. J'ai abusé de votre hospitalité et je vous ai dérangé alors que vous semblez en plein travail. C'est inapproprié de ma part et j'en suis profondément désolée...

— Arrête de t'excuser, me coupe-t-elle d'un geste de la main. Il n'y a pas de mal, vraiment. Seven m'a raconté ce qu'il s'est passé et j'étais ravie qu'elle me demande mon aide. Je n'allais quand même pas te laisser dans la rue alors que tu étais inconsciente, tu ne crois pas ?

Je hoche honteusement la tête, puis repose mes yeux sur le fond du jardin fleuri. Je devrais m'en aller. Mon éducation m'a appris à respecter mes ainées, à les remercier pour ce qu'elles m'offraient et à ne pas profiter de leur générosité. Myra doit avoir bien mieux à faire que de me surveiller.

Alors que j'allais partir, je l'entends finalement prendre place à mes côtés. Sa présence me tétanise. Je n'ose plus envisager de me lever à présent. Quand elle prend la parole, sa voix est chaude et douce dans la nuit sombre.

— Tu es sûre que tu ne veux pas en parler ? demande-t-elle calmement.

Je me rappelle de sa présence à l'hôpital après l'incident. Elle a probablement les meilleures intentions du monde. Mais je n'ai jamais été très douée pour me confier.

— Il n'y a probablement rien d'intéressant à dire, éludé-je en entremêlant mes doigts nerveusement.

— Allons, Reyna. Seven m'a dit ce que tu as fait à cette pauvre fille. Je sais que tu es une bonne combattante, mais tu n'es pas ce genre de combattante. Tu es propre et concise, tu ne massacres pas tes adversaires à coup de poing de façon incontrôlable. Tu es toujours maître de toi-même.

Plus si maître de moi-même ces temps-ci...

— Comment pourriez-vous le savoir ?

— Parce que je te vois souvent te battre, lors de compétitions ou lorsque je viens voir Seven s'entraîner. C'est important pour moi de suivre la progression de ma fille, de savoir ce qu'elle a amélioré et de comment elle se transforme petit à petit en une grande femme. Et puisque vous êtes amies, je m'intéresse également à ton cas. Et de ce que j'ai vu, tu ne te fais jamais dépasser par la violence que tu infliges.

Sauf avec lui. Avec lui je ne contrôle plus rien.

Je garde le silence, embarrassée par ce qu'elle met en lumière. Oui, ce que Shade a fait m'a affectée, bien plus que je ne l'admettrai jamais. Il m'a humiliée. Et je n'ai pas su gérer ça. Je ne sais toujours pas comment gérer ça.

— Alors ? Dis-moi. Je ne suis pas là pour te juger, tu sais.

— Ah non ? laissé-je échapper malgré moi.

Il est pourtant tellement évident que tout le monde va le faire. Ses yeux gris se voilent légèrement tandis qu'elle se tourne vers moi.

— Bien sûr que non, voyons. Reyna, chérie, je m'inquiète seulement pour toi. Cela fait très longtemps que tu n'avais pas paniqué de cette manière.

Paniquer. Voilà comment les autres appellent mes pétages de plomb. Voilà comment elles voient mes crises de violence incontrôlables.

— Ma mère est au courant ?

— Elle sait juste que tu passais la soirée avec nous. Elle n'a pas posé plus de questions.

— Je vois, acquiescé-je avec un rictus amer. Je sais que je n'ai pas le droit de vous demander cela, compte tenu de son statut, mais... Ne lui dites rien s'il vous plaît. Ça vaut mieux. Je n'ai pas envie de l'ennuyer avec cet incident.

— J'accepte, à condition que tu me dises ce qu'il s'est passé.

Je réfléchis un moment, troublée par sa proposition. Sa main se pose sur mon épaule, de façon réconfortante et mes tremblements cessent. Je n'avais même pas remarqué que je tremblais. Sa compassion me met mal à l'aise, pourtant elle est supportable. J'ai toujours rejeté la moindre forme de pitié ou d'empathie, mais Myra est différente. Elle ne me fait pas me sentir inférieure.

— Je ne peux pas, chuchoté-je.

— Pourquoi donc ?

— Parce que c'est humiliant. Et insensé. Je me dégoûte d'avoir commis une telle faute. C'est une transgression inacceptable.

— Tout le monde fait des erreurs, Reyna. Tu n'es pas parfaite.

— Je devrais l'être, contré-je en sentant ma voix craquer. Une Sénatrice doit être irréprochable, forte et parfaite en tous points. Elle doit montrer l'exemple. Et pour l'instant c'est un échec.

— Qui t'a dit ça ?

— Personne n'a besoin de le dire. Il suffit de regarder Zelda Call travailler, de l'observer évoluer dans la société pour se rendre compte de l'excellence qu'il faut atteindre pour exercer ce métier. Pour avoir du poids politiquement. Elle est un idéal que je me dois d'égaler.

Myra m'inspecte religieusement pendant quelques secondes. J'évite son regard, les yeux fixés sur mes doigts entortillés. D'un geste presque maternel, elle ramène une mèche de mes cheveux derrière mon oreille puis soupire gravement.

— Tu sais, Reyna, quoi qu'il se soit passé, quoi que tu en penses, tu n'as pas besoin d'être forte tout le temps. Et tu n'as pas besoin de ressembler à ta mère pour être une bonne Sénatrice. Zelda est qui elle est. Elle s'est construit cette personnalité parfaite sous tous les angles. Toi, tu dois juste accepter qui tu es réellement, et vivre ta vie.

— Je... Je ne me reconnais plus, j'admets péniblement, la gorge nouée. Je ne sais plus ce que je dois faire, comment je dois me comporter, ce qu'il est acceptable de ressentir ou non.

La styliste caresse une nouvelle fois ma chevelure pourpre, en signe de soutien.

— Ce n'est pas grave, c'est normal d'être un peu perdu à ton âge. Tu as traversé des moments difficiles ces derniers temps, personne ne pourrait t'en vouloir pour ça.

— Moi je m'en veux. Je m'en veux d'être faible face à lui.

Je laisse sa mention imprégner les lieux de sa présence. Le mot est lâché, prononcé, vivant. Je croise le regard gris de Myra, le soutenant courageusement le temps qu'elle comprenne mon allusion. Sa poitrine s'abaisse soudainement, mais un sourire doux accueille mes pupilles anxieuses.

— Reyna chérie, te rends-tu compte que tu es la jeune fille la plus forte que j'ai rencontrée ? Tu as survécu à Newton Park, tu t'es soignée, tu as avancé et tu fais face chaque année aux commémorations sans broncher. Récemment, tu as évité de justesse un attentat à la bombe et tu t'es fait tirer dessus. Mais tu es là, debout, à encaisser la moindre souffrance qui te percute de front. Alors que tu pourrais t'effondrer, tu affrontes tout ça sans te reposer une seule fois sur les autres. Tu es plus forte que tout ce que tu pourrais imaginer, Reyna. Bien plus. Alors tu as le droit, parfois, d'être faible. Tu as le droit de flancher à certains instants. Et tu n'as pas à t'en vouloir pour ça.

Parfois. À certains instants. Que faire quand cela se prolonge ? Quand il refuse de quitter ma tête ? Myra a tort. Je ne suis pas forte. Je m'effondre tous les jours.

Elle attrape finalement une de mes mains et la serre entre ses paumes. D'ordinaire, je me serais écartée, mais son toucher est apaisant. Chaleureux. Elle cherche seulement à m'aider et pour une fois, cela ne me dérange pas.

— Tu n'as pas à t'en vouloir de ressentir des choses qui te font du bien et qui te soulagent de ta douleur quotidienne, termine-t-elle très sérieusement.

Est-ce qu'il me fait du bien ? Ah! Je ne le pense pas. Je ne suis pas certaine de savoir ce qu'il me fait. Mais je sais que je ne peux rien ressentir pour lui, parce qu'il se servirait de tout ce que je lui donnerai pour me détruire.

Mes traits se durcissent à son évocation, mais je ne retire pas ma main pour autant.

— Alors pourquoi est-ce que j'ai déjà l'impression d'avoir trahi Athéa ?

— C'est le cas ? me questionne-t-elle durement, mais sans la moindre trace de jugement.

Je repense un instant à notre baiser maladroit.

— Non. Je suis loin de faire cette erreur.

— Alors laisse-moi te raconter une histoire, tu veux bien ? commence Myra en captant mon attention. Tu ne t'es jamais demandé pourquoi Vénus n'a pas eu d'enfants ?

— Je me suis toujours dit qu'elle avait obtenu une dérogation grâce à sa notoriété.

Myra esquisse un rictus amusé avant de poursuivre.

— En réalité, Vénus a eu trois enfants. Trois garçons, pour être exacte. Chaque séparation a été douloureuse. Elle n'en parle jamais, mais je sais que chaque anniversaire l'est également. Tu sais pourquoi ? Parce qu'elle les aime tous d'un amour inconditionnel, d'un amour que seule une mère peut porter à ses fils. Elle ne cherche pas à aller contre ses sentiments, et est-ce que cela fait d'elle une traîtresse pour autant ?

— Je suppose que non, mais la situation est différente, répliqué-je sachant pertinemment que dans son cas, je ne serais pas allée au terme de ces grossesses. Elle aurait pu choisir d'avorter quand elle a su, elle aurait pu faire les choses autrement. Moi, je ne choisis rien.

— Aujourd'hui la situation te paraît aussi simple, mais tu comprendras, le jour où tu tomberas enceinte et où tu deviendras mère pour la première fois que parfois, les choses ne se résument pas à un simple choix.

Je fronce les sourcils, pas certaine de comprendre.

— Où voulez-vous en venir avec cette histoire ?

— Ce que je veux dire c'est que malgré ce que Vénus ressent pour ses enfants, elle a accepté de les laisser partir. Je veux que tu comprennes que tu peux ressentir tout ce que tu veux, aimer qui tu veux, tant qu'à la fin, tu le laisses s'en aller. Dans ces circonstances, tu ne trahis personne.

Je ne trouve rien à répondre. Devant mon silence prolongé, elle décide de se relever après une dernière pression d'encouragement sur ma main. Ses dernières phrases se répètent encore quelques secondes dans mes oreilles avant que je ne parte à mon tour. Je ne me sens toujours pas prête à l'affronter. Néanmoins, je ne peux me substituer au jeu.

Car au fond, c'est tout ce que c'est. Un stupide jeu.

*

Devant le Village Concours, le Tableau des Scores me nargue de ma chute dans le classement. La Matriarche ne laissera jamais passer un tel fiasco. Pas après toutes les déceptions dont je l'ai affligée depuis le début de The Rule.

L'horloge digitale de l'appartement affiche minuit sept lorsque j'arrive enfin au complexe. Shade ne m'attend pas dans la pièce principale et je ne cherche pas à en savoir plus. Son absence me soulage. Je me contente de m'enfermer dans la chambre, espérant dormir jusqu'à la fin de la session sans avoir à l'affronter.

Mais la vie a une façon bien étrange de régir les évènements qui composent notre existence.

Je suis réveillée pour la deuxième fois de la nuit par un vacarme assourdissant dans la pièce d'à côté. Plus alerte que la première fois, je me redresse sur le lit en fixant la porte d'un regard plissé. Plusieurs pas irréguliers frappent lourdement le sol. L'intrus se cogne à de nombreuses reprises contre le mobilier, chuchotant un nombre conséquent de jurons dont la connotation en aurait fait s'évanouir plus d'une.

— C'est pas vrai...

Je grogne quand je réalise que Shade se trouve actuellement dans la cuisine et qu'il s'applique à faire le plus de bruit possible. Je ne tiens pas à intervenir. Je préfère ignorer sa présence à quelques mètres de la mienne. Je m'apprête à me recoucher quand un assaut brutal ébranle soudainement la porte de la chambre. Cet imbécile fait n'importe quoi. Le battant coulisse lentement, laissant glisser le corps flasque de Shade jusque sur le parquet de ma chambre.

Par Athéna... Je me lève agacée et m'avance pour le rejoindre. Les veilleuses s'allument sur mon passage alors qu'il s'appuie sur l'encadrement de la porte pour se remettre maladroitement debout. Malgré moi, une pointe d'inquiétude transperce mes poumons devant son allure débraillée. Sa combinaison est ouverte de moitié et son teint cireux. En approchant encore, je distingue ses paupières lourdes, ses yeux rouges et sa posture précaire.

S'il lâche le mur, il tombe.

Un large sourire creuse ses lèvres lorsqu'il se rend enfin compte de ma présence. Je fronce les sourcils, méfiante. C'est la première fois que je le vois exprimer une émotion aussi vive.

— Heeeyyy, Reyna chérie, m'accueille-t-il en étirant les syllabes. Je te cherchais partout.

— Qu'est-ce que tu veux, Shade ?

— Te voir bien sûr.

Ses yeux glissent langoureusement sur mon corps et je réalise alors que je porte seulement mon tee-shirt et une culotte. Son regard s'attarde sur mes jambes nues et je croise les bras sur ma poitrine, mal à l'aise. Tu en dévoilais beaucoup plus ce matin. Oui, mais il ne me regardait pas comme ça ce matin.

— Tu es tellement belle, souffle-t-il en plongeant ses yeux dans les miens.

L'intensité de ses émeraudes me coupe le souffle. Je secoue la tête et romps le contact.

— Tu as bu.

— Évidemment. Comment crois-tu que cette journée pouvait finir ?

Il lâche le mur et titube pour avancer. Je le rattrape par les épaules avant qu'il ne s'effondre par terre. Son poids manque de me renverser, mais je nous stabilise rapidement. Shade ne fait rien pour m'aider. Il se contente de me surplomber de son sourire niais alcoolisé.

— Tu t'inquiètes pour moi. C'est mignon.

— Tu dis n'importe quoi, répliqué-je sans conviction.

— Tu as toujours été une terrrrible menteuse, s'amuse-t-il. (Il lève son index et appuie doucement sur mon nez.) Boop.

J'écarte son doigt, la mâchoire serrée.

— Arrête ça.

— T'es mignonne quand t'es en colère.

Son sourire dévoile ses dents, mais je ne relève pas le nouveau compliment. Il n'est pas dans son état normal, me rappelé-je. Ça ne vaut rien.

Ignorant ses protestations enfantines, je le traîne jusqu'au rebord du lit et le fais s'asseoir. Je m'attends à ce qu'il tombe de sommeil sur le lit, mais ses mains se raccrochent à mes hanches quand j'essaye de m'écarter.

Le brun m'attire entre ses jambes et je pose mes mains sur les siennes pour essayer de me dégager.

— Shade, grondé-je.

— Ne pars pas.

Mes gestes se figent alors que ses yeux me supplient. Shade Harper ne supplie personne. Il m'épingle de son regard trop brillant et ma gorge s'assèche.

— Ne pars pas, s'il te plait, répète-t-il tout bas.

— Pourquoi ?

Shade me regarde longuement, comme s'il réfléchissait sérieusement à ma question. Puis il grogne et laisse tomber sa tête contre ma poitrine. Mes abdos se contractent à son contact. Mon cœur se coince entre mes côtes et l'afflux violent du sang menace de faire exploser mes veines trop étroites.

Avant que je ne puisse le repousser, il entoure ma taille de ses bras et m'enferme contre son corps. Je m'étrangle sur mes inspirations. Mon cerveau bloque et cesse subitement de fonctionner. J'ai oublié comment former les mots.

— Tu sens bon, souffle-t-il, la voix étouffée contre mon tee-shirt. Et pour une fois, tu n'es pas froide. Ni bleue tiens...

Je serre les dents et m'insulte de tous les noms quand je réalise la portée de ses mots. Pour la première fois depuis Newton Park, j'ai manqué une injection de Biologel. Zelda va me tuer.

— Shade...

— Tu n'en as plus besoin, c'est ça ? Dis-moi que tu n'en as plus besoin. Que tu es guérie de Newton Park. Les injections te rendent tellement malheureuse... Les traumas ne te rendent pas justice, chérie. Tu es tellement belle quand tu souris. Quand tu souris vraiment.

Je m'humidifie les lèvres et fixe mes yeux sur le mur du fond. Mes poumons se resserrent. Une émotion nouvelle engloutit mes cellules et noie mes organes. Je n'arrive plus à respirer. Il ment, me convaincs-je. Il ment, il ment, il ment. Je ne peux pas envisager autre chose.

— Ton cœur va exploser, m'informe-t-il, la langue pâteuse de sommeil.

À qui la faute?

— Shade, relâche-moi, ordonné-je en rassemblant mes forces.

— Pourquoi ? Je suis bien, là.

— Parce que tu es saoul. Et que tu dis n'importe quoi.

Il ricane et relève la tête vers moi. Je refuse toujours de croiser son regard.

— Tu crois que je mens ? Si seulement... Toutes les voix dans ma tête me hurlent de fermer ma gueule, Reynana. C'est le bordel là-haut ! Ha ! C'est drôle quand on y pense... Ça le sera moins quand j'aurai décuvé. (Il fronce brusquement les sourcils.) Ah merde... Je suis plus à une connerie près de toute façon. Je peux voir tes cicatrices ?

— Non.

Il fait la moue comme un enfant. Son innocence me broie les os. Elle s'infiltre entre toutes mes défenses et le rajeunit de quelques années. J'ai l'impression de mourir. Mon corps s'habitue trop vite à son contact.

Je réfléchis rapidement à mes options. Peut-être que je devrais en profiter. C'est ce que je devrais faire oui... Alors qu'est-ce qui te retient?

Shade se redresse légèrement et ses courtes mèches effleurent mon menton. Inconsciemment, ma main droite se lève et vient doucement caresser ses cheveux dans un geste mécanique. Je m'efforce de ne rien en penser. Mon autre bras repose sur son épaule alors que mes doigts frôlent nerveusement sa nuque.

Shade ronronne presque contre moi.

— Putain..., soupire-t-il. Tu causeras ma perte, Reyna Call.

J'essaye de ne pas trembler lorsqu'il dépose un baiser à la base de mon cou. Tout mon être prend feu, mes organes agonisent dans les flammes de sa douceur.

— Je ne devrais pas te vouloir autant... Je devrais pas... avoir encore envie de t'embrasser.

Mon cœur loupe un battement et remonte dans ma trachée. Je m'étouffe. Je meurs un peu plus dans l'incendie de ses aveux.

— Tu regrettes ? parviens-je à articuler.

— Non. C'était pas le bon moment, ça n'aurait pas dû se passer comme ça. C'était con. Mais putain non, je ne regrette pas.

Je presse les paupières à m'en faire mal. Moi non plus. Cette vérité résonne en chaos sous mon crâne.

Shade accroche un autre baiser contre mon cou, sur les battements de cœur prêts à me déchirer la peau. Et un autre un peu plus haut. Rien qu'un frôlement, une pression lente et prudente pour ne pas me brusquer. Quelque part, ses caresses me tuent plus sûrement que ses coups.

Puis ses lèvres longent ma mâchoire paresseusement. Je tremble pour de vrai cette fois-ci. Son nez cogne le mien et je croise son regard brillant à quelques millimètres de ma bouche. Son visage se couvre encore de bleus et de croûtes, mais son charme demeure intact. Athéna, serait-ce criminel de lécher ses lèvres que je n'ai goutées que trop peu de temps? Son haleine alcoolisée me réveille et je tourne la tête avant de commettre l'irréparable. Encore une fois.

Il y a eu assez de dérapages pour la journée.

— J'suis désolé, avoue-t-il, la voix vacillante.

Je me racle la gorge et retire mes bras de ses épaules. Qu'est-ce que je fais, par Athéna? Je prends de longues inspirations avant de parler.

— On ne peut pas faire ça.

— Je suis désolé, répète-t-il. Je suis désolé.

Shade secoue la tête, lui aussi apparemment troublé par les dernières secondes. Comme s'il essayait de repousser l'ébriété. Je m'apprête à retenter de me libérer quand il perd l'équilibre et s'écroule finalement sur le lit, m'emportant dans sa chute.

Le brun s'installe plus confortablement sur le matelas, sans jamais me lâcher. Ses bras forment un étau autour de ma taille et je me retrouve coincée contre son torse. Ses paupières papillonnent et se font de plus en plus lourdes. Je suis en train de le perdre.

— Shade, libère-moi maintenant.

— Pourquoi tu me l'as pas dit ? Pourquoi tu ne m'as pas dit que je ne pouvais pas perdre The Rule ?

— Quoi ?

— Ce n'est même pas un jeu, juste un foutu interrogatoire.

Je me fige sous la révélation. Comment est-il au courant d'une telle information ? Ça n'aurait jamais dû passer le mur des Pensions.

— Qui t'a parlé de ça ?

— On s'en fout. Le fait est que je le sais maintenant. (Il retouche mon nez et un sourire enfantin creuse ses fossettes.) Boop.

Je suis trop stupéfaite pour repousser sa main. Shade me regarde presque avec regret. Ses doigts tracent délicatement mes côtes et sa tendresse me fait l'effet d'un coup de couteau dans l'estomac.

— Et ça change tout. Ça change putain de tout, Reyna.

— Qui t'a dit ça, Shade ?

— Faut pas m'en vouloir, tu sais... évite-t-il de moins en moins conscient. C'est pas ma faute si... si je suis comme ça...

— Comme quoi ?

Ses yeux se ferment de plus en plus longtemps. Je vois qu'il lutte pour soutenir mon regard. Sa main gauche caresse ma joue alors que la droite se perd désormais dans mes cheveux. Mes muscles se détendent presque instantanément. Je suis trop bien pour m'en préoccuper. Alors je le laisse faire.

— J'peux pas l'empêcher... C'est... Ça se fait tout seul... Je suis malade, Reyna... Je suis un putain de sociopathe...

Je fronce les sourcils, méfiante. Sa main gauche retrouve sa place initiale et reprend ses caresses dans mon dos.

— J'déconne pas, Reyna. C'est écrit dans mon dossier psychologique...

Mon cœur s'arrête. Son dossier psychologique. Le même qui est scellé depuis des années pour des raisons obscures. Ma bouche s'entrouvre sous le choc.

— Je... Pourquoi tu me dis tout ça, Shade ? Pourquoi t'es venu ? demandé-je nerveusement, de plus en plus tremblante.

— Pour te voir.

— Non.

— Pour m'excuser.

— Tu ne t'excuses jamais.

— Peut-être que pour une fois, je voulais bien agir. T'as aucune idée de ce que tu me fais, hein ? ajoute-t-il devant mon air dubitatif. Tous ces cas de conscience, ces remords... C'est putain d'épuisant, tu sais. Ça m'arrivait pas avant toi... Y'a plein de trucs que je faisais pas avant toi d'ailleurs...

Oh ma déesse... Je déglutis. Shade se cale contre l'oreiller et ferme les yeux. Ses bras me maintiennent toujours contre lui, mais je n'essaye pas de m'enfuir. Pour la première fois, j'essaye de le comprendre.

— Je suis fou, Reyna, marmonne-t-il la voix ensommeillée. Complètement fou. Et... ça me fait agir comme le dernier des connards. Je... Je suis désolé, pour tout ce que je t'ai fait et... pour tout ce que je ferai encore... Je... T'imagines même pas ce dont je suis capable...

Le manque d'alcool se fait ressentir dans son organisme. Sa peau se couvre de chair de poule. Je passe une main dans ses cheveux courts et je le sens s'apaiser contre moi.

— J'ai déconné en t'embrassant... J'ai déconné en te laissant partir... Et j'ai déconné avec Berlioz ce soir... Je fais que des conneries en ce moment... Mais... j'peux pas arrêter ça... Je crois que... je crois que je voudrais être un gars bien, tu sais... mais je peux pas... je peux pas...

Sans m'en rendre compte, je pose ma tête sur son épaule sans cesser mes caresses dans ses mèches brunes. Et commence à fermer les yeux. Cette nuit, Shade n'est qu'un petit garçon. Un petit garçon effrayé de ce qu'il est devenu.

— Je suis désolé... Je suis désolé... Vraiment, vraiment désolé...

— Chuut..., soufflé-je sentant peu à peu le malaise me quitter. Tais-toi.

— Vraiment désolé...

Inconsciemment, mes mouvements se font plus doux, plus affectueux. Je crois que je veux l'apaiser. Le toucher ne me gène plus. Je ne sais pas à quel moment j'ai fini par m'y habituer. C'est dangereux. Je sais, mais terriblement réconfortant.

Je caresse ses cheveux et le berce pour qu'il s'endorme. Comme si je l'avais fait toute ma vie. Je ne comprends pas. Mais le bourdonnement sous mon crâne s'est évanoui. Ma respiration a retrouvé son calme. Je suis bien. Alors je continue.

Athéna, j'ai besoin de ton aide...

Jusqu'à ce que je finisse par m'endormir à mon tour.

Continue Reading

You'll Also Like

4.7K 163 8
Et si la pire des menaces n'était pas au-delà du mur... mais au cœur de la base ? Lorsqu'elle se regarde dans le miroir, June ne se reconnaît plus...
911 46 25
Troisième Guerre mondiale. Chaque famille doit livrer son enfant aîné à l'armée. Pas de discussion. Pas de retour. Mais le jour où ils viennent cherc...
103K 8.9K 64
#agegap #brotherbestfriend #roommates #smut #grumpyxsunshine 𝗤𝘂𝗮𝗻d 𝗹𝗮 𝗹𝗶𝗺𝗶𝘁𝗲 𝘀'𝗲𝗳𝗳𝗮𝗰𝗲, 𝘁𝗼𝘂𝘁 𝗱𝗲𝘃𝗶𝗲𝗻𝘁 𝗽𝗼𝘀𝘀𝗶𝗯𝗹𝗲...
121K 6.4K 40
Athéna rêve de s'échapper de son pays natal pour fuir ce qui lui reste des souvenirs de sa défunte mère. Son plan ? Partir à New York pour poursuivre...
App - Unlock exclusive features