Les rayons du soleil se montrèrent enfin depuis le ciel où il logeait, plus forts et plus chauds que jamais, réchauffant la peau froide des pirates. Tous les membres de l'équipage du Sunkanam s'étaient endormis sur les lattes en bois du bateau, épuisés par l'épreuve qu'elles venaient d'endurer au cours des derniers jours. Leurs vêtements étaient toujours humides de la pluie qui les avait frappés la nuit passée et trempaient le pont sur lequel elles se reposaient.Seule Maria, le bras droit du capitaine, tournait en rond en se frappant le front, l'esprit tourmenté par les problèmes qui concernaient pourtant toute la flotte. De là où elle se trouvait, sur la partie en hauteur au bout du navire, là où se résidait le gouvernail, il lui était offert une vue panoramique sur l'immensité de l'océan et tout ce qui se présentait devant elles. Or actuellement, tout ce qu'elle vit fut une infinie tache bleue à n'en jamais finir, aucun signe de terre en vue. Elle plissa les yeux en vain dans l'espoir d'apercevoir un bout d'île se dessiner au bout de l'océan qui leur sauverait la vie. Le prochain port se situait à des jours de trajet, peut-être même plusieurs semaines. L'unique espoir auquel elle s'accrochait toujours fut le vent ; s'il soufflait assez fort vers l'Est, alors pourraient-elles peut-être s'en sortir vivantes.
Plus bas, l'agitation se fit ressentir du côté des femmes assoupies. Certaines commencèrent à s'agiter et à s'étirer tout en luttant pour ne pas ouvrir les yeux. Maria saisit alors une corde pendante et, en prenant appui sur le bord, s'élança dans les airs jusqu'à retomber sur l'étage principal du navire. Un bruit résonnant s'échappa des lattes de bois lorsque ses grosses bottes en cuir frappèrent le sol lourdement et soudainement, tous les bustes allongés devant elles se redressèrent brusquement. Des grimaces s'étirèrent sur leur visage fatigués en même temps que le soleil vint leur brûler les yeux. Maria se tint ainsi, le corps tendu et droit, à attendre qu'elles la remarquent, elle et son air sérieux habituel. Tout ce qui vint d'elles fut des gémissements plaintifs. Toutes se tenaient le ventre faiblement, victimes d'une nouvelle famine sévissant. Certaines demandaient à avoir des biscuits secs, d'autres osaient même parler de fruits, quand finalement, la seule chose qui leur fut servi pour le petit-déjeuner n'était d'autre que des flocons d'avoine baignés dans de l'eau de mer.
Les temps étaient durs. Il n'y avait plus rien à se mettre sous la dent, plus rien pour faire cesser les cris provenants de leur estomac. Après leur épreuve au sein de la tempête qu'elles venaient de remporter, il ne leur restait presque aucune provision. Beaucoup de leurs réserves avaient été perdues lors des tempêtes qui avaient secoué le Sunkanam. L'équipage croulait désormais sous la faim, forcé de rationner le moindre grain de riz jusqu'à ce qu'elles atteignent le prochain port. Le corps des femmes était faible, sans ressource, se battant pour pouvoir encore tenir debout et servir au profit de cette flotte.
Maria ne supportait plus de voir les mines dégoûtées de ses amies en train de manger cette soupe de mer infâme, elle s'en alla vers la pièce principale intérieure. Ici se trouvait la chambre de la capitaine. Personne n'avait le droit d'y pénétrer à part la capitaine et Maria, qui était une chère amie à elle. Ainsi elle frappa contre la porte, polie comme elle avait été élevée. Derrière la porte résonna doucement l'écho de la voix d'Adèle.
— Capitaine, elle la salua d'une référence, ne vous joignez-vous pas à nous ce matin ?
Adèle, qui était assise à son bureau, releva les yeux vers Maria. Elle était déjà vêtue de sa tenue de pirate ; sa chemise blanche épousait à la perfection les courbes de sa taille grâce au corset qui serrait son corps sous ses seins, tandis que les manches lanternes tombaient sur ses mains de ses bouts en dentelle et que des bottes en cuir remontait jusqu'en haut de ses mollets. Maria croisa alors son regard éteint, accompagné de larges cernes bleus et d'une couleur de peau terne.
— Quel genre de capitaine serais-je si je ne laissais pas manger mes matelots à ma place ? Rétorqua-t-elle.
— Enfin, Capitaine ! Vous devez vous nourrir !
Elle savait que cette conversation ne mènerait à rien. Elle connaissait Adèle mieux que quiconque et si elle avait décidé de ne pas manger pour donner plus aux autres, alors elle ne mangerait pas. Aussi difficile que cela l'était pour elle de voir sa tendre amie se priver, elle en était reconnaissante. Elle n'imaginerait pas assumer le rôle de capitaine, pas après avoir vu tout ce dont Adèle était capable de faire.
Au lieu de tenter de la convaincre comme n'importe qui l'aurait fait, Maria s'avança davantage vers Adèle, se plaça derrière la chaise puis posa ses mains sur les épaules de la jeune femme. Quelques-uns de ses cheveux blonds se coincèrent sous les doigts abîmés de la plus vieille. Elle sentit Adèle se tendre sous son toucher et la fixer à travers le miroir.
— Quels sont les ordres, Capitaine ?
— Tenir bon, c'est tout ce que nous pouvons faire, répondit-elle sans grande conviction. Prions les dieux et attendons que les vents se lèvent. Ils vous conduiront jusqu'à la terre.
— J'aimerais que les choses soient différentes...
— Moi aussi.
Les deux femmes furent interrompues dans leur conversation par les voix de l'équipage provenant de l'extérieur. Elles se regardèrent en fronçant les sourcils, se demandant bien ce qui pouvait bien causer un tel chaos chez les pirates du bateau. Les mots qu'elles hurlaient n'étaient pas descriptibles depuis la chambre, et furent perçus comme de vastes échos lointains. Intriguée, Adèle quitta sa chaise, se coiffa de son chapeau de capitaine puis se lança dans une marche assurée vers le pont. Dehors, les bols du déjeuner avaient été abandonnés sur le sol aux côtés de couverts usagés.

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cursed sailor
FantasyLa courte histoire d'une pirate exilée secourue d'une mort certaine par l'équipage du Sunkanam et sa capitaine. Des chuchotements, des caresses, des épées, une vérité.