Only Angels - Terminé

Neil

Vous connaissez ce sentiment quand vous savez que vous avez déçu vos parents au plus haut point ? Le moment où votre père est tellement en colère qu'il ne dit plus rien et qu'à côté, votre mère est trop faible pour essayer de vous défendre ? Quand l'air est lourd et que la gravité a elle aussi pris ses jambes à son cou, quand tout est si silencieux qu'on se demande s'il y a encore de la vie dehors ?

C'est exactement ce qui se passe dans la salle à manger en ce moment même. Mon père, assis face à moi à l'autre bout de la table, me regarde d'un air sévère, les poings posés sur le bois lisse. Il n'a pas bougé depuis cinq minutes, à croire qu'il est resté figé comme ça. Ma mère fixe ses doigts manucurés de son rose pâle habituel, mais de toute façon, elle ne fait qu'acte de présence, comme d'habitude. Le papier qui trône devant moi est la raison de notre réunion familiale improvisée.

Mon bulletin de notes de mi-semestre est arrivé dans la boîte aux lettres ce matin. Rosa a tenté de le cacher au milieu des autres papiers mais papa s'est mis à fouiner dedans en revenant ce midi, chose qu'il ne fait jamais. Rosa m'a tout de suite prévenu en montant dans ma chambre mais en descendant pour partir rapidement de la maison, mon père m'a attrapé et m'a fait asseoir dans la chaise de la salle à manger où je trône actuellement. Il n'a encore rien dit, mais ses yeux parlent à sa place.

Il est clair que je n'ai pas vraiment excellé dans certaines matières ces trois derniers mois, et avec de telles notes, je n'aurais pas mon semestre tout court. Aucune des matières même je dirais. Ma moyenne générale s'élève à la généreuse note de 7.5 sur 20. Je n'ai réussi que deux matières sur les cinq que j'avais, et quand je dis réussi, je veux dire que j'ai eu 11, alors je vous laisse imaginer le reste des résultats.

Mon paternel se redresse sur sa chaise sans jamais me lâcher du regard. Sa cravate est accrochée à son cou grâce à un parfait nœud windsor, pas un seul cheveux ne dépasse dans les airs et son air sérieux me rappelle à quel point le Neil qui avait 12 ans était terrifié de lui. Aujourd'hui, j'ai certes moins peur, mais je déteste toujours autant me faire passer un savon et affronter la colère de mon géniteur.

"Qu'as-tu à dire pour ta défense Neil ? finit par lâcher ce dernier d'un ton las.

- Je ne suis pas fait pour ces études, c'est très intriguant, mais je n'ai rien à faire dans ce domaine. Je ne suis pas fait pour la politique, ni pour les maths ou la médecine. Je ne vis que pour une chose et tu le sais depuis que je suis né. J'ai essayé d'avoir les meilleures notes possibles, j'ai vraiment essayé, mais de toute évidence j'ai aucune capacité dans ce domaine, et même si j'en avais, je ne serais jamais heureux, alors que c'est ça ma priorité. Je sais d'avance que je n'aurais pas ma première année.

Mon père tape du poing sur la table et fait sursauter ma mère, déjà au bord des larmes, tandis que je ne sourcille même pas un peu. Je suppose qu'on finit par s'habituer à ce genre de réaction. Je tripote la feuille entre mes doigts, le visage levé vers celui de mon père, parce que si je dois vraiment l'affronter, alors cette fois je le ferais.

- Neil, on a déjà eu cette discussion une centaine de fois. Tu pleurniches parce que tu veux faire de la musique, et moi je te dis qu'être chanteur c'est pas un avenir. Tu as pensé au fait que tu ne pourrais peut-être jamais y arriver ? Au fait que tu ne seras jamais à la maison, jamais avec ta famille et tes amis, tu feras comment quand tu voudras avoir une femme et des enfants ? Tu arrêtes tout, mais tu fais quoi ensuite si tu n'as aucun diplôme ?

- Je me suis déjà fait approché par un producteur, il a signé les plus grands artistes ! Pourquoi tu ne peux pas me faire confiance ? Laisse moi faire mes propres choix et mes propres erreurs ! C'est pas grave si je me plante, ma vie ne va pas s'arrêter là.