Le garage était plus difficile à ouvrir que ce qu'on m'avait dit. La porte n'était pas fermée à clé mai il fallait appuyer sur la serrure puis pousser la porte - dit comme cela, la tâche semblait simple. Pour autant, heureusement qu'aucun témoin ne me voyait foncer comme une brute sur la porte, qui me résistait toujours malgré mes coups d'épaules et de pieds. Bon aller, cette fois-ci, c'est la bonne ! J'appuyai de toute mes forces sur la serrure qui commençait enfin à s'enfoncer, et alors que je m'apprêtais à donner le coup de grâce à cette forteresse, une voix inconnue m'interrompit dans mon élan.
- Tu as besoin d'aide ? me demanda-t-elle, dans un rire franc
Je relâchais instinctivement toute la pression dans ma main, et tous mes efforts furent annulés. Une once de frustration monta en moi, et je soufflai avant de me retourner.
- J'y étais presq- ...
Je sentis soudainement mes joues devenir rouges, sans que je ne puisse rien y faire et je perdis alors toute contenance.
Devant moi se tenait une fille à la silhouette élancée, les cheveux blonds relevés en un chignon flou comme négligé, mais parfaitement maîtrisé. Elle portait un sweat trop grand aux manches retroussées, un jean effiloché, et ses yeux, d'un vert clair presque irréel, brillaient sous la lumière du soleil. Elle avait ce genre de beauté qui vous donne envie de détourner le regard et de le garder fixé en même temps. J'étais gênée de la détailler ainsi mais je le faisais presque malgré moi, tellement elle était jolie. Genre vraiment jolie.
Elle souriait, tranquille, comme si tout ça l'amusait un peu.
– Je peux essayer ?
J'ai hoché la tête, trop occupée à me dire que j'aurais peut-être dû me recoiffer ou au moins mettre autre chose qu'un vieux t-shirt marseillais, sur lequel était inscrit « pastis, pétanque ». Mon look de prépa aura eu raison de moi, je ne prenais plus vraiment le temps de choisir mes vêtements et prenais ce qui me passait sous la main.
– Vas-y, si tu veux. Mais bon courage, elle est super relou cette porte.
Elle s'est approchée, a appuyé une fois sur la serrure et paf, en deux secondes c'était réglé. La porte céda, dans un grincement presque moqueur. Et moi, je restai là, un peu bête, embarrassée et en même temps amusée
– Voilà, dit-elle en se tournant vers moi avec un sourire en coin. C'était pas si dur.
Je lui lançai un regard faussement vexé.
– Ouais, ok... mais en même temps j'avais déjà bien préparé le terrain.
Elle rit, d'un rire léger, sincère mais un peu moqueur.
– Ou peut-être que j'ai juste des talents cachés.
– Genre "maîtriser les portes récalcitrantes" ?
– Exactement. C'est un super pouvoir que peu de gens respectent à sa juste valeur.
Je souris à mon tour, et me mordis la lèvre pour ne pas paraître trop joviale. Finalement, mon séjour s'annonçait bien, et j'avais espoir de me faire une nouvelle amie. C'était un peu bête, mais je sentais déjà ce petit quelque chose de léger dans la poitrine, ce mélange d'excitation et d'appréhension. J'imaginais nos conversations, les balades en fin d'après-midi, les confidences qu'on ferait peut-être... c'est fou d'être arrivée à un tel point de solitude que la moindre personne qui vous sourit et vous adresse la parole prend immédiatement de l'importance pour vous.
– Tu vas faire du vélo ?
Je sursautai presque, comme prise en flagrant délit, avant de bafouiller :
– Hein ? Ah... oui, oui ! dis-je en me redressant un peu, embarrassée. Il fait super beau dehors, et... enfin, j'me suis dit que ce serait pas mal de prendre un peu l'air. Je fais pas trop de sport en ce moment, alors... voilà. Et puis... mon frère est resté scotché devant un film bizarre...fin bref, une balade en vélo, c'était le plan !
Ma voix s'était emballée toute seule. Les mots s'enchaînaient plus vite que mes pensées, et je n'arrivais pas à m'arrêter. Je ne sais pas pourquoi je lui racontais tout ça, comme si je devais absolument me justifier. J'aurais pu dire juste "oui", ou même rien du tout, mais non, fallait que je parte dans un mini monologue. Je me tus brusquement, mordillant l'intérieur de ma joue, un peu honteuse. J'avais l'impression d'avoir vidé mon cerveau devant elle comme une valise trop pleine qu'on n'arrive pas à refermer.
Elle, en face, me regardait avec un sourire taquin. Du genre "t'es marrante, toi, un peu étrange mais marrante". Je détournai le regard, vers le ciel, et fixai un oiseau qui s'était installé sur le toit de l'immeuble. C'est fou comment je suis nulle en fait pour faire la conversation, je réfléchis soit beaucoup trop à ce que je veux dire, soit je n'y réfléchis pas et je me sens alors complètement conne après coup.
Elle tourna la tête vers le garage entrouvert, les mains dans les poches.
– Et donc, tu vas où avec ton vélo ? T'as un spot que tu aimes ou c'est freestyle complet ?
Je dus prendre une demi-seconde pour lui répondre. Je l'avais observée en douce depuis qu'elle avait parlé — sa manière de se tenir, de sourire, même la façon dont une mèche blonde s'échappait de son chignon trop lâche.
– Freestyle total, répondis-je en haussant les épaules, comme si j'étais hyper détendue. Juste envie d'être dehors, pédaler un peu, écouter de la musique, tu vois.
Elle hocha la tête, ses yeux toujours plantés dans les miens, et je dus me forcer à ne pas baisser les miens.
– Ça a l'air cool... J'ai un vieux vélo de route dans la cave, je crois. Tu veux de la compagnie ?
Son ton était naturel, comme si c'était rien. Comme si deux inconnues se proposaient tous les jours des balades à vélo improvisées dans une cour en bord de mer. Je n'ai pas réfléchi longtemps.
– Grave. Si t'es motivée, bien sûr.
– Toujours ! répondit-elle avec un clin d'œil. Je reviens dans cinq minutes, alors. Bouge pas.
Je hochai la tête, tentant de garder mon calme, même si mon cœur, lui, n'avait clairement pas reçu le mémo.
– Le temps que je choisisse mon vélo, tu as le temps ! ajoutai-je, en désignant vaguement l'intérieur sombre du garage, pour meubler.
Elle me lança un sourire — pas juste un petit rictus en coin, non, un vrai sourire, grand, lumineux, presque insolent de beauté. Et voilà. J'étais foutue. Littéralement happée.
Il y eut un petit flottement, genre elle allait partir, mais elle me regardait encore une seconde de trop. Puis elle tourna les talons, légère, les cheveux qui ondulaient un peu avec le vent marin.
Je la suivis des yeux, le souffle un peu court. Zoé. Reprends-toi. Tu ne la connais même pas. Tu lui as parlé cinq minutes. Cinq. Cinq toutes petites minutes. Et pourtant, j'avais l'impression d'être en train de basculer dans un de ces romans pour adolescents un peu ridicules, avec ralentis au soleil et fond sonore dans ma tête. Je secouai la tête et me forçai à me concentrer sur ma mission : choisir un vélo. Juste ça. Un vélo. Pas sa silhouette qui disparaissait derrière la haie. Pas ce sourire qui m'avait cramée de l'intérieur.

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Un étage plus bas
RomanceElles fréquentent le même établissement, vivent dans le même immeuble... mais l'une ignore encore tout de l'autre. Zoé avait entendu son prénom, aper?u son sourire, sans jamais vraiment y prêter attention. Jusqu'à ce que le hasard les rapproche, ent...