⸻Le car roulait depuis à peine quarante minutes, mais déjà les joueurs s'étaient installés dans une routine familière : écouteurs vissés aux oreilles, visages tournés vers les vitres ou vers leurs écrans. À l'avant, deux membres du staff échangeaient à voix basse sur le programme du jour. Moi, j'étais assise au fond, à côté de Mike.
— Ça te rappelle des souvenirs ? m'a-t-il demandé en me tendant une bouteille d'eau.
Je l'ai regardé, un sourire aux lèvres. Les souvenirs. Oui. Sauf qu'à l'époque, on allait à des tournois départementaux avec nos clubs d'enfance. Aujourd'hui, on partait pour affronter une des plus grandes sélections d'Europe dans un match amical à Rotterdam.
— Un peu plus grand qu'un déplacement à Montreuil, ai-je soufflé.
Mike a éclaté de rire, la tête appuyée contre la vitre.
— Tu te souviens quand on s'était perdus sur l'autoroute parce que ton père avait mal lu la carte ?
— C'est pas mon père, c'est toi qui avais insisté pour être le copilote. Résultat : trois heures de détour et un sandwich triangle pas frais.
Il a hoché la tête, amusé. Puis, plus doucement :
— Je suis content que tu sois là, Stella.
Le silence a flotté quelques secondes entre nous. Un silence doux, pas gênant. Comme un lien invisible qui reprenait sa place.
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Le match était prévu pour le lendemain soir, ce qui laissait une journée entière pour les entraînements légers et les installations. L'hôtel réservé pour l'équipe était sobre mais spacieux, avec des salles dédiées pour la vidéo, les soins, la muscu, et une salle de repos.
C'est là que l'ambiance a vraiment changé.
Les visages habituellement concentrés se détendaient. Les sourires fusaient plus facilement. Et surtout, on m'avait proposé — pour la première fois — de me joindre à eux après le dîner pour une "soirée FIFA".
Mike m'avait glissé l'invitation d'un ton neutre, presque banal, comme si ce n'était rien.
— Ce soir, les gars vont squatter la salle média. FIFA, Mario Kart, baby-foot. Tu viens ?
— Je... euh, j'peux ?
Il avait haussé un sourcil.
— T'es avec nous maintenant. Viens. Et ramène ton appareil, si tu veux. On est très sérieux quand on joue à Mario Kart. Tu pourrais capturer des scènes de tension historique.
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La salle avait été réorganisée à la va-vite. Un écran géant trônait en bout de pièce, avec deux manettes déjà en main et une console lancée. Les rires résonnaient, les canettes de soda s'empilaient sur une table, et l'odeur sucrée des bonbons se mêlait à celle plus légère du désodorisant industriel.
Aurélien Tchouaméni était en pleine bataille de carapaces vertes avec Griezmann, pendant que Dembélé et Upamecano lançaient des commentaires dignes d'un match de Ligue des Champions.
— Passe-lui la banane ! Paaasse-lui la banane !
Je n'étais pas la seule à prendre des photos ce soir-là. Un des jeunes du staff filmait quelques séquences pour les réseaux sociaux. Mais moi, je cherchais autre chose. Des sourires pris sur le vif. Un geste qui trahit une complicité. Un regard. Des éclats de vie.
Mike m'a rejoint après sa partie de FIFA. Il s'est assis à côté de moi sur le tapis, un bol de popcorn dans les mains.
— Tu t'amuses un peu, ou tu bosses tout le temps ?
— Les deux, ai-je souri. Mais j'aime bien. Photographier, c'est ma façon de me sentir là.
Il m'a observée quelques secondes, son regard plus doux que d'habitude.
— Tu mérites d'être là, Stella. Et c'est pas juste parce que je t'ai ramenée. Ils te respectent. Ils aiment ce que tu fais.
J'ai senti une chaleur familière me monter au ventre. Celle qu'on ressent quand quelqu'un vous voit vraiment.
— Merci, Mike. T'imagines pas à quel point ça compte pour moi.
Il m'a souri, puis a lancé, plus fort :
— OK, OK, Stella va jouer contre moi à Mario Kart. On va régler nos comptes. Stade de l'enfance, édition 2025.
Les autres ont applaudi, certains se sont tournés vers nous, amusés. J'ai attrapé la manette avec un mélange de peur et d'adrénaline. Ce n'était pas le genre de moment que j'avais anticipé en rejoignant l'équipe de France. Mais c'était exactement ce dont j'avais besoin.
On a joué, on a crié, on a ri. Mike a gagné, de peu — il me l'a juré — mais je l'ai soupçonné d'avoir levé le pied à la fin. Peu importait.
Ce soir-là, je n'étais plus juste la photographe silencieuse. J'étais Stella. Une fille qui faisait partie du groupe. Qui perdait à Mario Kart, mais qui gagnait peu à peu sa place.
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Le lendemain, dans les gradins du stade de Rotterdam, j'étais prête. Il faisait froid, le vent marin s'infiltrait sous ma veste. Mais j'avais mon boîtier, mon badge, mon équipe. J'ai photographié les joueurs entrant sur le terrain, la tension sur les visages, les chants des supporters, les gestes échangés avant le coup d'envoi.
Et même si Kylian Mbappé ne m'avait toujours pas adressé plus qu'un hochement de tête, j'ai réussi à capturer une photo de lui, à l'échauffement, riant avec Griezmann. Naturellement. Sans défense. Presque fragile.
Je l'ai regardée longtemps après la fin du match.
Parce que parfois, une image vaut plus que mille conversations.
Et parce qu'au fond, c'était ça que je cherchais : la vérité entre les lignes, la vie derrière le rôle, l'humain dans la lumière.
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