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Chapitre 21 (bonus) - 10 ans après le drame

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La pluie tambourine doucement contre les vitres du petit café de quartier. Les lustres diffusent une lumière chaude, presque floue. L'hiver s'accroche encore un peu, dehors.

Lucie est la première à arriver. Elle porte un manteau beige, sobre. Ses cheveux sont plus courts qu'avant, plus foncés aussi. Elle commande un thé à la menthe, s'installe près de la baie vitrée, et pose un carnet vierge sur la table. Son regard se perd un instant dehors. Sur le trottoir mouillé. Sur les passants qui vont trop vite.

Théo entre ensuite. Plus grand, plus massif qu'à l'époque. Une barbe légère, des cernes profondes. Il porte un vieux blouson de cuir. Il la salue d'un hochement de tête, esquisse un sourire. Ils ne se sont pas vus depuis presque trois ans, mais c'est comme si le temps n'avait pas compté. Pas pour ça. Pas pour eux.

Owen arrive en dernier. Casquette vissée sur la tête, sweat trop grand. Lunettes rondes. Cheveux coupés très courts. Son sac à dos pend mollement à son épaule. Il les voit, esquisse un sourire gêné, puis s'installe face à eux.

Trois survivants. Trois fantômes debout sur les ruines d'une histoire qu'ils n'ont jamais réussi à enterrer.

Lucie parle la première.

— Je suis passée devant le Pont Lavender, ce matin. Il y avait encore des fleurs. Des rubans. Des lettres.

Owen baisse les yeux.

— J'y vais plus. Je peux pas. Mais je sais que c'est toujours là. Que ça bouge pas.

Théo serre la mâchoire.

— Dix ans. Et je les entends encore. Élise, Norah, Léo... comme s'ils étaient juste derrière une porte. Et que j'avais pas le droit de l'ouvrir.

Un silence.

Lucie sort une vieille photo. Six adolescents sur une pelouse. Léo qui fait une grimace. Norah qui fixe Élise. Élise qui regarde ailleurs. Léo et Théo, bras dessus, bras dessous. Lucie qui rit. Owen qui lit.

Elle pose la photo au centre.

— C'est tout ce qu'il nous reste.

Ils la regardent longtemps. Puis Théo dit :

— On devrait raconter. Pas pour les autres. Pour eux. Pour nous. Pour que ça existe quelque part.

Lucie hoche la tête. Owen sort un stylo.

— On met quoi ?

Elle ouvre le carnet.

Lucie murmure :

— Le commencement. Le vrai.

Et les mots commencent à couler. Un peu tremblants. Un peu brisés. Mais vrais.

Ils parlent de Léo. De ses blagues. De sa voix. De la manière dont il faisait toujours semblant de ne pas s'intéresser, mais qui écoutait tout. Ils parlent de Norah. De son regard fuyant. De sa drôle de façon de vouloir aimer trop fort. De ses silences empoisonnés. Ils parlent d'Élise. De son rire discret. De sa mélancolie. De la manière qu'elle avait de se faire toute petite, tout en étant toujours le centre.

Ils se taisent parfois. Longtemps. Mais les souvenirs, eux, continuent. Dans leurs têtes. Dans les regards.

Le carnet se remplit. Page après page.

Un hommage. Un exorcisme.

Quand ils sortent du café, il fait nuit. Le vent est glacial. Mais pour la première fois depuis longtemps, aucun d'eux ne tremble.

Et quelque part, entre les lampadaires et les ombres, une voix douce semble murmurer :

« Merci. »

Nulle part est un lieuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant