We Can't Be Friends !

Camille

Je ne m'attendais pas à devoir me battre pour un poste ingrat, surtout dans la situation précaire où je suis, mais mon égo m'empêche de me laisser me faire devancer. Certains désamours ne s'expliquent pas et je n'ai pas besoin d'arguments pour comprendre que je ne serai jamais amie avec Becca. Ce n'est une perte ni pour elle ni pour moi.
Et tandis que je tente encore de gérer la frustration de m'être fait coiffer au poteau, Mike en est à son deuxième hot-dog. Ses doigts dégoulinent de sauce qu'il s'empresse de lécher. Je suis persuadée qu'il ignore qu'il attise les pensées les plus obscènes des demoiselles dans les environs, mais pour une fois, je m'épargne les palpitations cardiaques. J'ai déjà bien trop de mal à gérer la nausée qui m'apprend que le ketchup est à rayer de ma liste alimentaire pour les prochains mois.

— T'es sûre de ne pas en vouloir un bout ? s'inquiète-t-il par politesse.
— Je t'en prie. Nourris la bête.

Ce corps de plus d'un mètre quatre-vingt-dix est constitué de muscles saillants qui nécessitent une consommation de protéines considérable. On pourrait penser que Mike avale tout et n'importe quoi, mais il est méticuleux avec la quantité et la qualité de la nourriture qu'il ingurgite. À côté de lui, je suis consciente de n'avoir aucun équilibre alimentaire, engouffrant ce que mon cerveau ordonne aux horaires qui lui conviennent. Pour l'instant, je me satisfais de ce corps en sachant qu'il est amené à évoluer.

— Tu n'as rien mangé ce matin et là, tu as à peine entamé ton smoothie. Y a un truc qui ne passe pas ?
— Non. Je suis juste... préoccupée par les problèmes que tu as exposés.

Sa mastication camoufle aisément mon mensonge, et sans que je m'y attende, mon intestin se décide à m'envoyer le signal que j'attendais. Je suis autorisée à dévorer ce qui reste de ce morceau de pain, avant que je ne retrouve un état nauséeux.
Sans chercher à comprendre la psychologie de mes hormones, je me jette sur ses doigts et dévore ce qui reste du hot-dog. C'est à peine s'il frémit, tant l'effet de surprise l'immobilise et le laisse dans un état d'hébétude.

— D'a-ccord. Tu veux que j'aille t'en chercher un autre ?
— Non. Plus faim.

Et ce sera ainsi jusqu'à ce que mon cerveau en décide autrement. Décidément, ma grossesse est loin d'être un long fleuve tranquille, mais pour l'instant, je ne m'en plains pas. Moins je pense aux effets secondaires, et plus elle passe inaperçue aux yeux de Mike et ses amis.
Je n'en suis pas étonnée, car ce n'est pas comme si je les intéressais.

Ne souhaitant pas m'apitoyer sur mon sort, j'encourage l'ogre à cesser de dévorer tout ce qui peut faire mouiller notre public afin qu'on entame notre après-midi shopping. Dans un univers parallèle à Toronto, j'aurais profité de ce moment en compagnie d'amis qui ne le sont finalement pas et me serais contentée d'un bonheur léger.
Je pensais autrefois que cumuler les connaissances était gage de réussite et popularité. Cependant, seuls les obstacles de la vie permettent de trier ceux qui s'attardent pour aider de ceux qui se délestent du fardeau que vous représentez subitement.
Le constat est triste pour moi. Je ne pense pas posséder un ami digne de ce nom ni même un membre de la famille prêt à se sacrifier pour moi. Et cette crainte fait que je transfère mon échec sur Mike. Ceci est la seule explication que je donne au sentiment d'apaisement que je ressens en me baladant à ses côtés.

Nous pénétrons dans l'un des nombreux magasins, trop luxueux pour de simples achats de nécessité. Je n'ai plus les moyens de dépenser sans penser aux conséquences.

— Je crois qu'on devrait faire demi-tour.
— Pourquoi ? Il y a de très belles robes, ici. Tu trouveras forcément ton bonheur.
— Peut-être, mais ton banquier appellera dans la seconde. Je n'ai pas besoin de tout ça. Un simple tailleur ira très bien pour faire la concurrence à ta petite amie.
— Becca n'est pas ma petite amie.