Les mains agiles des servantes s’affairaient autour d’elle, ajustant chaque pli, chaque détail de la robe interdite. Une œuvre d’ébène aux reflets soyeux, volumineuse et majestueuse, qui défiait les conventions. Les tissus froissés soupiraient sous leurs doigts, et pourtant, dans leurs regards se lisait l’inquiétude.
— Mademoiselle, êtes-vous sûre ? osa murmurer l’une d’elles, la voix tremblante.
— Je n’en changerai pas, répondit Fahola, le regard fixé sur son reflet.
Ses cheveux, laissés libres, tombaient en une cascade soyeuse sur son épaule, effleurant le tissu sombre. Une autre transgression. Une provocation silencieuse.
Lorsque les portes du grand salon s’ouvrirent sur son entrée, un souffle suspendit l’assemblée. Les conversations s’éteignirent, les éventails s’abaissèrent, et l’onde du scandale se propagea en un murmure.
Dans un coin de la pièce, la Marquise crispa les doigts sur son verre. Son sourire figé masquait à peine son irritation.
Fahola, elle, avançait avec une grâce calculée, soutenant les regards, les provocations muettes. Elle n’avait peut-être pas retrouvé tous ses souvenirs, mais une chose était certaine : ce soir, elle ne serait pas une ombre obéissante.
Les conversations bruissaient encore lorsque le héraut frappa son bâton contre le sol marbré. Un silence tomba aussitôt dans la salle de bal. Tous les regards convergèrent vers l’entrée, où s’alignaient déjà les valets en livrée.
— Leurs Majestés le Roi et la Reine, accompagnés de leurs Altesses Royales, le prince héritier Lukas, les princes et la princesse.
Les portes s’ouvrirent en grand. Le roi, drapé dans une élégance imposante, s’avança le premier, suivi de la reine dont la silhouette raffinée irradiait une autorité indiscutable. Derrière eux marchaient leurs enfants, le prince héritier Lukas en tête. Il avançait avec cette assurance noble qui lui était propre, vêtu d’un ensemble aux broderies argentées. Ses frères et sa petite sœur le suivaient de près, chacun portant l’aura de leur rang.
Lukas balaya la salle d’un regard… et s’arrêta sur Fahola.
À ses côtés, Sandrine joua avec la dentelle de son gant, observant discrètement la Marquise.
— Regarde-la, murmura Sandrine.
Fahola suivit la direction de son regard. À l’autre bout de la salle, la Marquise affichait un sourire maîtrisé, mais ses doigts se resserraient imperceptiblement autour de son éventail.
— Elle n’a pas l’air ravie, chuchota Fahola.
— Elle n’a pas non plus l’air surprise.
— Tu crois qu’elle savait que je viendrais ainsi ?
— Non. Mais j’ai l’impression qu’elle a toujours un coup d’avance sur tout le monde.
Fahola hocha la tête, le regard fixé sur la noble dame.
— Tu penses qu’elle cache quelque chose ?
— Je n’en ai aucune preuve, mais… son sourire me met mal à l’aise.
Elles n’eurent pas le temps de poursuivre, car une silhouette s’approcha d’elles.
— Mademoiselle Fahola, puis-je vous accorder cette danse ?
Christian, le frère de Sandrine, se tenait devant elle, la main tendue avec un sourire sincère. Acceptant l’invitation, Fahola glissa sa main dans la sienne et se laissa entraîner sur la piste.
La danse commença dans une harmonie parfaite.
— Vous faites sensation ce soir, commenta Christian avec amusement.
— Est-ce un compliment ou une mise en garde ? répondit-elle.
— Un peu des deux. Mais je dois avouer que vous portez la rébellion avec élégance.
Fahola rit doucement, mais elle sentit un regard insistant sur elle. Lukas.
Lorsque la musique prit fin, une autre main se tendit vers elle.
— À mon tour, je crois.
Le prince héritier Lukas se tenait devant elle, imposant et parfaitement maître de lui-même.
Christian s’inclina avec un sourire malicieux et s’éloigna.
— Vous vous amusez bien, on dirait, glissa Lukas en l’entraînant sur la piste.
Fahola haussa un sourcil.
— Dois-je comprendre que Votre Altesse trouve cela inapproprié ?
Il la fit tourner avant de resserrer légèrement sa prise.
— Disons simplement que certains regards devraient se tourner ailleurs que sur vous.
— Ou bien est-ce que cela vous dérange personnellement ?
Son sourire ne vacilla pas, mais son regard s’assombrit d’une lueur étrange.
— Peut-être.
Leur danse se poursuivit dans une tension à peine dissimulée, et Fahola comprit que, ce soir, elle n’avait pas seulement défié les convenances. Elle avait réveillé quelque chose d’autre.
Après trois danses d’affilée, Fahola sentit son souffle lui manquer légèrement. La chaleur de la salle, la lumière des lustres et les nombreux regards braqués sur elle commençaient à l’étourdir. Elle trouva refuge près de la table des rafraîchissements et se servit un verre de punch sans alcool. Le liquide sucré glissa sur sa gorge, lui apportant un court répit.
— Tu enchaînes les danses comme une véritable princesse, plaisanta Sandrine en la rejoignant.
— Et je commence à en ressentir les effets, répondit-elle avec un sourire amusé.
Elle posa son verre vide et, prétextant une envie de solitude, elle s’éclipsa discrètement vers les couloirs attenants à la salle de bal. Sandrine la suivit sans un mot, curieuse de savoir où elle comptait se rendre.
Les deux jeunes femmes se glissèrent dans une galerie ornée de tableaux, loin de l’effervescence du bal. Fahola s’appuya légèrement contre un pilier, profitant du calme environnant. Mais à peine eurent-elles repris leur souffle qu’un murmure attira leur attention.
Elles échangèrent un regard avant de s’approcher discrètement d’une alcôve dissimulée par une tenture.
— Il faut agir avant qu’elle ne prenne plus d’importance aux yeux du prince, chuchotait une voix féminine.
Fahola reconnut immédiatement la Marquise.
— Lukas est peut-être jeune, mais il n’est pas idiot. Plus il s’intéresse à cette fille, plus il posera des questions, répondit une seconde voix.
La Vicomtesse.
Fahola sentit le cœur de Sandrine s’accélérer contre son bras.
— Nous devons nous débarrasser d’elle, reprit la Marquise d’un ton tranchant.
Fahola sentit un frisson la parcourir.
— Mais comment ? demanda la Vicomtesse, hésitante.
Un silence plana. Puis la Marquise murmura :
— L’anniversaire du roi approche. Ce serait l’occasion parfaite.
— Et quel moyen comptes-tu utiliser ?
— Je n’ai pas encore décidé. Mais elle ne doit pas être là après cette nuit-là.
Fahola sentit le sang quitter son visage. Sandrine serra sa main, comme pour l’empêcher de réagir impulsivement.
— Partons avant qu’elles ne nous découvrent, souffla-t-elle.
Fahola hocha la tête et recula lentement, le cœur battant à tout rompre.
Elles savaient désormais que la menace était bien réelle.

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Les secrets de la couronne mystérieuse
Historical FictionDans un empire autrefois uni, un séisme divisa les terres d'un continent en trois royaumes: Gonzaly, Delvania et Mythopie. La disparition de la dynastie impériale et de sa couronne légendaire plongea ces terres dans le chaos. Trois cent ans plus tar...