Aidé par son auxiliaire de vie , Basile franchit les portes de la bibliothèque. Comme à chacune de ses visites , Adélaïde l'accueillit avec un grand sourire . Aujourd'hui , la jeune femme avait revêtu un chemisier jaune à poids noirs , le même qu'elle aimait porter les mercredis après-midi lorsqu'ils se baladaient dans le parc qui bordait la faculté. Elle lui fit la bise et serra la main de son auxiliaire avant de les convier à se rapprocher de son bureau. Elle rassembla plusieurs papiers et les empila avec les autres. Elle releva la tête vers Basile , une mèche bouclée roulant sur son nez.
-Vous souhaitez boire quelque chose ?
Son assistante secoua frénétiquement la tête , l'homme soupira à cette réaction. Il releva son regard vers Adélaïde et lui sourit.
-Comme d'habitude alors , déclara-t-elle pleine d'allégresse.
-Cindy , vous pouvez aller faire un tour , je vous appellerai en cas de besoin. Vous verrez ils ont une collection incroyable de classique ici.
La femme acquiesça et s'éloigna sans un mot. Adélaïde prit de tasse et secoua la tête d'un air mi-amusé mi-agacé , comme le ferait une mère en voyant son fils faire pour l'énième fois la même bêtise.
-Tu as encore changé d'auxiliaire , tu n'arrives vraiment pas à trouver la bonne ? Demanda-t-elle en faisant chauffer sa bouilloire électrique.
-Non , est-ce vraiment si dur de trouver quelqu'un ayant un minimum de culture et de sympathie. Sois elles sourient comme des simplettes ou elles sont aussi froides et aimables qu'une statue de marbre. Certaines ne savent même pas faire une phrase sans faire de fautes , tu te rends compte !
La jeune femme rigola en versant l'eau bouillante , Basile avait toujours été quelqu'un d'exigeant en matière de compagnie. Il aimait être entouré de beaux esprits , débattre et parler de littérature. Adélaïde savait à quel point le fait de se retrouver seul toute la journée avec des personnes totalement étrangères à son univers pouvait le faire souffrir , elle était heureuse que ces petites visites à la bibliothèque puissent lui remonter le moral. Elle versa la dosette de café soluble dans une tasse et trempa son sachet de thé dans l'autre.
-Après , il ne faut pas dire non plus que tu sois très souriant avec elle. Tu ne me sembles pas heureux en ce moment , et pas la peine de me cacher ça derrière de faux sourire , ça ne marche pas avec moi, finit-elle par dire en lui lançant un clin d'œil malicieux.
Basile haussa les sourcils puis souffla. La seule chose qu'il n'appréciait pas chez Adélaïde était sa capacité à découvrir les secrets des gens , impossible de lui cacher quelque chose. La jeune femme s'approcha et l'aida à boire une gorgée de café. Le liquide brûlant et amer lui arracha une infime grimace.
-Je me demande comment tu peux boire une chose pareille, plaisanta-t-elle.
-Ce n'est pas si mauvais tu sais.
-Vraiment , Basile , dis-moi ce qui ne va pas. Depuis ton accident tu n'as jamais été aussi maussade, demanda-t-elle en redevenant sérieuse d'un seul coup.
-La solitude , le manque d'activité , être enfermé entre des murs tristes , autant de facteurs qui n'aident pas à être de bonne humeur.
La jeune femme lui adressa un sourire compatissant et rejeta ses mèches volatiles en arrière. Adélaïde était comme ça , quand elle ne trouvait pas les mots pour vous réconforter , elle ne parlait pas. Elle porta sa tasse à ses lèvres et commença à éplucher les piles de papiers sur son bureau , elle réfléchissait car ses sourcils étaient froncés d'une façon imperceptible pour les gens qui ne la connaissait pas bien. D'un seul coup son visage s'éclaira et elle releva la tête vers son ami.
-Je sais ce qu'il te faut pour te remonter le moral, déclara-t-elle pétillante de joie.
*
Assise sur le sol au milieu de la pièce seulement éclairée par une lampe de chevet , Adélaïde rigolait à s'en décrocher la mâchoire. Elle plaça ses mains devant la source de lumière et se mit à bouger ses doigts , l'ombre immense d'un lapin apparu alors sur le mur. Basile souriait lui aussi , il regardait la jeune femme s'amuser comme une petite fille. Plusieurs livres et bouts de papier jonchaient le sol , sur une table une coupelle de fruits secs était abandonnée. Adélaïde saisit un bouquin et parcouru délicatement les pages du bout de ses doigts à la recherche de quelques choses. Elle releva la tête et éclata de rire en voyant le visage de l'homme.
-Comment peux-tu lire uniquement ce genre d'ouvrage aussi barbant ? Pas étonnant que tu deviennes déprimé après.
-Tu peux parler toi , avec tes livres jeunesses et tes romances d'adolescente, railla-t-il.
-Chut pas si fort , tout le monde va être courant.
Ils rigolèrent tous les deux. Adélaïde avait raison , une soirée comme ça , entre amis , ne pouvait que le rendre joyeux. Elle lui rappelait ses années de facultés , où lui et ses amis passaient des soirées à rire dans la bibliothèque déserte. La jeune femme semblait être restée dans ces années-là , ses cheveux toujours en bataille , ses vêtements toujours aussi extravagants et son rire toujours aussi beau. Elle semblait toujours aussi enfantine , si douce et pleine de joie de vivre , comme une petite fille. Jamais il ne l'avait vu être de mauvaise humeur , parfois elle s'énervait et à ces moments-là , il valait mieux ne pas être dans les parages. Mais elle n'avait jamais exprimé d'émotions négatives en compagnie des autres , elle les enfermait juste à l'intérieur d'elle et préférait partager son bonheur. Basile se tourna lentement vers la jeune femme , il lui sourit et lui demanda.
-Apprends-moi à être comme toi.
Adélaïde le regarda pleine d'allégresse avant de se lever et de se placer derrière lui. Elle posa ses paumes sur ses yeux. Doucement , elle lui dit.
-Tu verras , c'est très simple. Concentre toi et ouvre les yeux.
Elle retira ses mains , Basile observa alors la pièce désordonnée , les affaires de la jeune femme abandonnées dans un coin , les livres rangés dans la bibliothèque.
-Vois comme le monde est splendide, lui chuchota-t-elle à l'oreille.
C'est vrai , le monde semblait bien plus beau comme ça.
