Le silence est lourd dans la villa. Le téléphone vibre dans ma poche, et je vois le nom de mon père.
La boule au ventre me serre immédiatement.
Je ne réponds pas. Je pensais que j'aurais pu décrocher avec Kaïs, peut-être trouver un peu de réconfort... mais c'est trop tard. Tout est trop compliqué.
Je monte à l'étage, dans ma chambre. J'ouvre les placards, les tiroirs. Je commence à emballer, sans réfléchir. Je mets mes affaires dans des cartons. Quelques vêtements à garder, mes produits de tous les jours... le reste, je le range. Comme si en les enfermant dans ces boîtes, je pouvais effacer tout ce qui me rattache encore à cette maison, à ce contrat, à lui.
C'était sa décision, pas la mienne. Mais je devais partir. Aucune issue possible.
Je prends un moment pour m'arrêter, la tête pleine de pensées floues. C'est comme si tout ça ne faisait plus sens, comme si je ne savais plus où je vais, ni ce que je ressens. Je me force à continuer, à emballer.
Les larmes coulaient sans que je m'en aperçoive.
Puis, soudain, j'entends la porte d'entrée. Le bruit m'arrête net. Je tends l'oreille, inquiète. Et là, j'entends la voix de Leya, claire et joyeuse.
— MIRA, TU SAIS, LES COOKIES QUE T'AVAIS AIMÉS LA DERNIÈRE FOIS, J'EN AI REFAIT !
Surprise, je sursaute, mes mains tremblent. Je n'avais pas prévu qu'elle vienne. En panique, je sèche rapidement mes larmes, puis je me précipite pour fermer la porte de ma chambre à clé, cachant les cartons et tout ce que j'essaie d'oublier.
Elle ne devait rien voir de tout ça.
Je prends une grande inspiration. Je dois retrouver un semblant de calme.vite.
— Coucou, Leya, dis-je, ma voix un peu tremblante malgré moi. T'es là ?
Leya entre dans la pièce, souriante comme toujours, une lueur d'enthousiasme dans ses yeux. Elle retire son bonnet, ses gants et son écharpe.
— Ça m'a trop manqué de venir ici, Mira. Tu veux écouter le nouveau morceau de piano que j'ai appris ?
Je lève les yeux vers elle, un faible sourire accroché à mes lèvres malgré la boule dans ma gorge.
— Bien sûr, vas-y, je t'écoute.
Elle s'installe, ses doigts glissant sur les touches du piano avec une aisance qui me fascine toujours. La musique envahit la pièce, douce et fluide.
Quand elle termine, je la regarde, un sourire sincère sur le visage.
— C'est magnifique, Leya. Vraiment, tu progresses tellement.
Elle rougit légèrement, heureuse de ma réaction, et je sens un léger soulagement m'envahir. Ça ne dure pas longtemps. Mon regard se détourne vers la cuisine, et c'est là que je remarque quelque chose qui me serre le cœur.
Le bouquet de roses éternelles, celui que Kaïs m'avait donné, avait disparu.
Sérieusement ?
Un vide se fait dans ma poitrine, comme un trou qui me dévore tout entière. Il n'a même pas eu l'air d'hésiter avant de les retirer.
Comme si je n'étais déjà plus là, comme si tout ce qui nous liait n'avait plus de sens.
Ça me brise. Pourquoi avoir fait ça maintenant ? Il aurait pu attendre, juste un peu.
Un geste aussi insignifiant aux yeux des autres, mais pour moi, c'est tout le poids du monde qui se fait sentir. Il ne voulait vraiment plus de moi.
Leya me regarde un moment, ses yeux remplis d'une curiosité naïve, comme si elle sentait que quelque chose clochait. Mais elle ne me force pas à parler, elle est gentille comme ça.
— Qu'est-ce qui va pas ? T'es un peu bizarre, Mira...
Le chat miaule, comme si il avait reconnu son nom.
Je lui souris faiblement, essayant de cacher ce qui me ronge à l'intérieur.
— Rien, ça va. C'est juste... un peu fatiguant, tout ça, répondis-je, espérant qu'elle n'insiste pas.
Elle semble me croire, mais son regard trahit un brin de doute. Elle secoue la tête puis, dans un élan d'enthousiasme, essaie de changer de sujet.
— C'est les vacances d'hiver maintenant, tu sais ! Et si on partait quelque part ? Peut-être au soleil ? Ou au ski ?
Je sens mon cœur se serrer en pensant à tout ce que ça implique. Deux jours. Dans deux jours, tout sera fini. Je serai partie. Comme ça. Sans vraiment pouvoir le dire. Je me force à sourire, à jouer le jeu, mais la boule dans mon ventre ne disparaît pas.
— Je préfère... être au soleil, je réponds, la voix un peu trop calme, comme pour éviter que mes pensées ne s'entendent.
Leya, toute joyeuse, éclate de rire.
— Moi aussi ! Le ski ça fait trop peur, j'ai peur de tomber ! En plus, au soleil, ça serait trop bien. Tu verras, je sais nager san bouées.
Je hoche la tête, un petit sourire se dessinant malgré moi. C'est étrange...
— Tu veux qu'on fasse du chocolat chaud ? Je pense que ça irait super bien avec les cookies, lui dis-je, essayant de retrouver un peu de légèreté.
— Oui ! C'est une super idée ! s'exclame Leya, toute excitée à l'idée de quelque chose d'aussi simple mais réconfortant.
Elle me regarde avec ses yeux pleins d'espoir, puis une idée lui traverse l'esprit.
— D'ailleurs, est-ce que je peux dormir ici cette nuit..?
Je souris doucement, puis je m'efforce de ne pas trop réfléchir à tout ce qui se passe en moi.
— Si Kaïs est d'accord, je pense que c'est possible.
Je vois son visage se radoucir, elle semble satisfaite. Je commence à préparer le lait pour le chocolat chaud, le bruit du lait qui chauffe dans la casserole brise le silence.
Mais tout ça est interrompu par la porte d'entrée qui s'ouvre soudainement. Je me retourne en entendant Kaïs rentrer.
Il retire ses gants et sa veste, sa silhouette imposante toujours aussi calme. Puis ses yeux se posent sur Leya, et je peux presque voir l'expression de surprise qui traverse son visage, même s'il ne laisse rien paraître.
— Surprise ! dit Leya, toute fière de sa petite surprise.
Kaïs soupire, un soupir profond qui semble en dire long. Il s'approche d'elle d'un pas tranquille, lui faisant un bisou sur la tête.
— Je t'ai déjà dit de prévenir quand tu viens, répond-il d'un ton un peu sec, mais pas vraiment fâché.
Leya hausse les épaules, imperturbable.
— J'ai oublié, désolée ! Et je dors ici aussi !
Il soupire, encore une fois, mais c'est presque un réflexe.
— J'ai des trucs à faire, de toute manière.
Il monte rapidement chercher quelque chose dans sa chambre, et revient quelques minutes plus tard, une nouvelle absence dans ses gestes.
Sans un mot de plus, il sort de la maison, sans même croiser mon regard. Je le regarde partir, le cœur un peu serré. Je m'efforce de ne rien montrer, mais une partie de moi se sent blessée par ce vide qu'il laisse derrière lui.
J'ai l'impression que tout ce que j'avais réussi à percevoir de sa face cachée s'était évaporée. Comme si je l'avais imaginé.
La soirée continue avec Leya, plus douce et détendue. Le parfum des cookies et du chocolat chaud remplit la pièce alors qu'on s'installe sur le canapé. On lance un film de Noël, l'ambiance chaleureuse de la pièce contraste avec mes pensées froides. Leya, emmitouflée dans sa couverture, me regarde, toute souriante.
— J'adore ce genre de soirée, dit-elle, son regard pétillant. On devrait en faire plus souvent, tu trouves pas ?
Je lui souris, mais au fond de moi, je sais que tout ça est éphémère. Bientôt, je ne serai plus là. Le temps passe vite, beaucoup trop vite.
— Grave ! Mais vas te brosser les dents, je lui réponds doucement. Il est temps que tu te prépares à dormir. Il est tard.
Elle hoche la tête et monte dans la salle de bains. Je me perds dans mes pensées pendant ce court instant, le bruit des pas de Leya à l'étage me ramenant à la réalité. Elle revient peu après, prête à s'endormir. À peine installée, elle ferme les yeux, s'endormant d'un sommeil paisible, sans souci.
Je reste là, seule avec le silence, le vide laissé par Kaïs pesant sur moi. Mais je ne laisse rien paraître. Pas ce soir.
Je m'endors finalement, Leya contre moi, Bizarre blotti dans mes bras. Le silence de la nuit m'envahit, et je commence à m'assoupir.
Mais au bout de quelques minutes, un bruit me réveille. Je sais d'emblée que c'est Kaïs qui est rentré essayant de refermer délicatement la porte. Il s'approche doucement, ses pas légers sur le sol. Il s'arrête un instant, comme s'il hésitait.
Puis je le sens, il arrange la couverture autour de Leya et moi. Mon cœur se serre dans ma poitrine, sans savoir pourquoi.
Il hésite encore, puis, avec une douceur presque imperceptible, il pose un baiser sur ma tête. Ses mots viennent à peine effleurer mes oreilles, murmures à peine audibles dans le silence.
— J'espère que tu comprendras ma décision, dit-il tout bas. Tout ça, c'est pour toi. Que pour toi.
Il glisse sa main, ajustant une mèche de mes cheveux derrière mon oreille. Son geste me touche, même si je ne comprends pas entièrement.
À ce moment-là, Bizarre se réveille, miaule doucement, puis s'éloigne, brisant l'instant.
Je me décide à ouvrir les yeux, juste un peu, juste assez pour voir Kaïs me regarder. Il paraît surpris de me voir éveillée, mais il ne bouge pas. Il reste là, un instant suspendu entre deux mondes, presque hésitant. Leya bouge légèrement à côté de moi, et Kaïs décide de la repousser doucement de l'autre côté du canapé pour qu'elle ai plus de place.
Je ferme les yeux à nouveau, trop de pensées bousculant mon esprit. Mais une chose est sûre, la tension entre nous, tout ce qui reste non dit, ne disparaîtra pas facilement.
Il me regarde longuement, son regard intense. Je sens son parfum embaumer la pièce, puis il me demande d'une voix calme :
— Tu préfères dormir dans mon lit ? Je dormirais ici avec Leya.
Je le regarde, un peu surprise par la question, mais je secoue la tête.
— Non, je suis bien là.
Nos regards se croisent un instant, et l'air semble se charger d'une tension qu'on ne peut plus ignorer. C'est étrange, presque lourd.
Je finis par lui poser la question qui me brûle les lèvres.
— À quoi tu joues, là ?
Il fronce les sourcils, comme s'il n'avait pas vraiment la réponse.
— Je.. Je sais pas.
Je le regarde un instant, perdu dans cette situation où ni l'un ni l'autre ne semble savoir quoi faire. Puis il se redresse doucement.
— Je monte dormir, dit-il enfin.
Avant de partir, il s'arrête une dernière fois, se tourne vers moi et demande, d'un ton presque incertain :
— Eh, Mira...
Je relève les yeux, le cœur battant plus fort.
— Oui ? je réponds.
Il hésite un instant, puis pose la question qui me fait l'effet d'un coup de poignard.
— Tu me détestes toujours ?
Je ferme les yeux un instant, le poids de ses mots me frappant de plein fouet.
— Oui, je lui dis.
Il acquiesce d'un simple mouvement de tête, comme si cette réponse était tout ce qu'il attendait.
— Parfait, murmure-t-il, avant de disparaître dans l'escalier.
Le bruit de ses pas s'éteint lentement, et le silence qui suit semble encore plus lourd qu'avant.
Le lendemain, la journée passe lentement, presque comme si elle refusait de se terminer.
Leya reste avec moi, et même si la maison semble toujours aussi vide, aujourd'hui, elle paraît un peu plus vivante avec elle. On passe la journée à dessiner, à peindre, à faire des activités pour tuer le temps. Mais je le sens, à chaque sourire qu'elle m'adresse, chaque éclat de rire, qu'une part de moi se brise lentement. Parce que je sais que ce ne sont que des instants éphémères.
Comment est-ce qu'il allait lui expliquer que j'étais partie ?
Le soir arrive, et la porte s'ouvre avec ce bruit familier, presque trop normal pour ce qui se prépare. Kaïs rentre, son regard indéchiffrable comme d'habitude, mais ce soir, il semble plus lourd.
Leya, en entendant le bruit, se précipite vers lui, souriante.
— Tante Ana t'attend dans la voiture, lui dit-il d'un ton ferme.
Elle fait une grimace, hésitante, les yeux pleins d'un air triste qu'elle essaie de cacher.
— Je veux pas partir, dit-elle en se tournant vers moi.
Ça me tord le cœur, mais je garde mon calme.
— Mira, quand je reviendrais on continuera nos dessins, tu les perdes pas, d'accord ?
Je hoche la tête. Elle me serre dans ses bras avec toute la force d'un enfant qui ne veut pas dire adieu, et je la serre contre moi, essayant de retenir les larmes qui montent.
Kaïs, lui, reste là, figé, presque comme s'il ressentait aussi ce poids dans l'air. Il n'ajoute rien, mais je sais qu'il sait.
Leya se tourne alors vers lui, s'approche et lui donne un câlin, plus spontané cette fois.
— T'as trop de chance d'avoir une femme trop cool, lui dit-elle, avant de lui lâcher un sourire lumineux.
Kaïs répond d'un simple hochement de tête, et la porte se ferme derrière elle.
Le silence envahit la pièce après son départ. La tension est palpable, comme si on attendait le signal.
Kaïs passe une main sur son visage avant de lâcher un gros soupire. Il se laisse tomber sur le canapé, l'air épuisé, comme si toute l'énergie l'avait quitté. Il pose un dossier sur la table devant moi.
Je le reconnais tout de suite : le contrat de divorce.
Un frisson me parcourt, et je me redresse, le cœur battant la chamade.
— C'est le moment, me dit-il d'un ton presque sec. Il tend le stylo vers moi.
Je le regarde, les mains tremblantes. Je veux pleurer, mais je me retiens, comme si chaque larme me rendait plus faible.
Les larmes montent malgré moi. Je ne peux pas. Pas maintenant.
— Est-ce que je suis obligée de le faire ? je demande d'une voix fragile.
Il déglutit, presque comme s'il avait mal, lui aussi. Il évite mon regard, comme si ça lui coûtait de répondre.
— Oui, me dit-il rapidement, presque trop vite, comme s'il voulait éviter toute discussion.
Un silence lourd tombe entre nous. Il attend, mais je reste là, figée, le stylo dans ma main.
— Je... je veux pas, je murmure, le regard perdu.
Il souffle, un souffle qui pourrait presque être un regret, mais il ne dit rien pendant un moment. Finalement, il parle, d'une voix plus basse, presque cassée.
— Ça ne compte pas ce qu'on ressent, Mira. Faut juste faire ce qui était prévu.
Mes yeux s'embuent de larmes, mais je serre les poings, essayant de me contenir. J'ai besoin de comprendre.
— Et toi, qu'est-ce que tu ressens, Kaïs ?
Je lui demande enfin, le cœur lourd.
Il se fige, ses yeux se voilent un instant avant qu'il ne baisse la tête. Il ne répond pas tout de suite. Mais je vois bien dans son silence qu'il en a autant marre de tout ça que moi.
Pourtant, il reste là, avec cette distance entre nous qui ne se résorbe pas.