"I confess I am lost
In the age of the social
On our knees, take a test
To be lovin' and grateful"- Angel down, Lady Gaga
J'arrive avec des heures d'avance à l'aéroport. La patience n'étant pas forcément mon fort, je me mets à questionner ma motivation. Suis-je en train de faire une bêtise ? Partir et ne rien dire à personne... N'est-ce pas en réalité la chose la plus bête que je vais faire ?
Je ne sais dire si les conséquences de ce départ me font peur ou non. Abandon de poste, rupture avec Benjamin sans qu'il ne le sache vraiment, inquiétude très probable de mes parents quand ils découvriront mon appartement saccagé...
Si, j'ai peur. Et actuellement, un peu trop. Mais en même temps, la photo que je garde dans ma poche me remplit d'euphorie à chaque fois que je la regarde et le rêve que j'ai fait quelques heures plus tôt me hante. Je me suis interdite le bonheur sans même m'en rende compte pendant des années et il est temps que cela change. À 30 ans, j'ai l'impression d'avoir raté ma vie et d'être passée à côté de quelque chose d'unique. Il faut que je répare ça.
Par contre, je peux peut-être limiter la casse et éviter de provoquer une crise cardiaque à mon père. J'ai eu la bonté d'esprit de récupérer la carte Sim intacte de mon téléphone explosé et l'ai emporté avec moi. Je me dirige dans un magasin de téléphonie et achète le dernier iPhone. Autant se faire plaisir.
J'insère la carte Sim et suis bombardée de notifications. Je suis injoignable pendant douze heures et mon nouveau smartphone est sur le point de buguer à cause de tous les messages reçus ? Qu'est-ce que ça aurait été si j'avais décidé de disparaître dans la nature sans laisser de trace ?
La plupart des appels et messages sont de Pierre. La présentation au client était ce matin. Je regarde l'heure rapidement. Il est quinze heures. Oups ? Je ressens toute la détresse et la colère de mon supérieur dans ses sms. Très honnêtement, ça me remplit de joie. J'ai même reçu quelques insultes, ce qui me donne de la matière si j'ai un jour envie de l'emmener aux Prud'hommes.
Décidant de couper court à cette invasion de messages, je lui réponds.
« Je démissionne. »
Voilà, parfait. Clair, net et précis ! Même si je sais que ça ne se fait pas ainsi, je m'en contrefiche. Dans quelques heures, je ne serai plus là pour faire face à ces conséquences. Je lâche un rire, attirant le regard de quelques personnes.
Cependant, Pierre ne souhaite pas en rester là. Il m'appelle et m'envoie à nouveau des sms. Il est définitivement pas fun. Inspirée, je lui réécris un autre sms.
« De ton courroux, je m'en contrefous. »
Une belle rime, rien de mieux ! Il comprendra sûrement mieux avec cette phrase à la Jedi comme il les aime tant. De nouvelles insultes inondent mon écran. Bon, la plaisanterie a assez duré. Je bloque son numéro et le calme revient.
Benjamin ne m'a envoyé aucun message, visiblement toujours énervé d'hier soir. Il ne mérite peut-être pas ce que je vais lui faire subir mais ma colère contre lui est trop forte pour le rassurer. Il va sûrement penser que je fuis. Mais, fuir une relation qui ne se résume qu'à reproches et rabaissements en série, est-ce une mauvaise chose ? Clairement pas.
Les derniers messages sont de ma mère, que Ben a visiblement contacté. Je hais quand il fait ça. Il pense toujours que si lui n'arrive pas me raisonner, ma mère y parviendra sûrement. Parfois, j'ai l'impression qu'il me prend pour un être qui ne peut pas réfléchir par lui-même. Ç'en est rabaissant. J'envoie un rapide message à ma génitrice pour la rassurer et lui faire comprendre que je ne serai pas joignable pendant un certain temps avant de mettre mon téléphone en mode avion. Ça suffit pour aujourd'hui.
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J'atterris à Florence à la nuit tombée. Mon trajet en avion a été un véritable enfer. Des centaines de questions m'ont assaillies. Et s'il n'habite plus à la même adresse ? En dix ans, il y a de fortes chances qu'il ait déménagé, surtout qu'il n'est plus étudiant. A-t-il une femme, des enfants ? Est-il passé à autre chose ? C'est même plus que probable ! Un si bel homme, célibataire à trente ans ? Et puis, comment lui en vouloir ? Moi-même, j'étais sur le point de me marier avant de tout plaquer. La peur m'a tordu le ventre. Vais-je tenter de briser un couple ? Et, pire que ça... s'il ne me reconnaît pas ? S'il ne se souvient pas de moi ?
Je commençais à regretter mon départ quand l'avion a touché la piste d'atterrissage. Il n'est jamais trop tard pour changer d'avis et rentrer en France reprendre ma petite vie triste et morne, bien que j'aie définitivement perdu mon boulot. Un peu de courage, Erin. Comment dit-on en italien déjà ? Coraggio. S'il est célibataire et qu'il se souvient de toi, tu seras la plus heureuse. Je l'imagine me murmurer ce mot dans l'oreille, m'appelant à le rejoindre. Ça m'en donne des frissons.
Je prends un taxi à la sortie de l'aéroport et lui indique le centre-ville de Florence. Je n'ai pas réservé d'hôtel mais, en février, il ne doit pas y avoir beaucoup de touristes. Lorsque j'arrive sur place, même plongée dans le noir, la ville m'apparaît aussi belle qu'il y a dix ans. De nombreux souvenirs m'assaillent et j'arrive à me convaincre que pour l'instant, j'ai pris une bonne décision. J'entre dans le premier hôtel et déniche une chambre pas trop chère.
Je passe une nuit agréable et pleine d'espoir. Suis-je bipolaire sur les bords ? Sûrement. Je me réveille tôt, vers 6h, l'excitation m'empêchant de dormir plus. Je me prépare tranquillement et décide de sortir me promener un peu. J'arrive sur la Piazza della Signoria toujours aussi belle mais tristement vide à cette heure-là et passe devant un café bien trop familier. Je décide de m'asseoir en terrasse, bien qu'il ne fasse pas très chaud. Heureusement pour moi, le soleil est présent pour me réchauffer le visage. Un serveur arrive pour prendre ma commande. De mon italien un peu rouillé, je lui demande :
— Un ristretto per favore.
Je n'en ai pas bu depuis dix ans. Plus précisément, depuis la fois où Milo a essayé de m'initier à l'art du café italien. Lorsque le serveur arrive, j'esquisse un sourire et porte la tasse à mes lèvres. Je bois une gorgée et manque de m'étrangler. L'amertume assaille mes papilles et me rend la langue pâteuse. Mon Dieu, c'est toujours aussi dégueulasse. J'éclate de rire, seule à la terrasse de ce café en me forçant de boire ce ristretto immonde et laissant les souvenirs m'envahir délicieusement.

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Un seul être
RomanceEntre un patron mégalomane qui se prend pour Yoda, un fiancé qui ne jure que par les ultimatums et une ville qui l'étouffe de jour en jour, Erin est au bord du burn-out. Après une journée éprouvante et une découverte bouleversante, la jeune trentena...