Fiancés par intérim

        Assise dans un bar huppé de Manhattan, je termine mon verre sous l'œil amusé de Sahana. Le rythme effréné des dernières heures se dissipe pour quelques instants. Son sourire me rassure, même si je perçois l'inquiétude dans ses yeux.

— On se croirait dans un feuilleton interminable, souffle-t-elle en faisant tourner les glaçons dans son verre. Il ne manque qu'un frère caché chez les Ward ou un père qui n'est pas le père et tu auras tout vécu.

— C'est pire que la série Dynastie... ça ne s'arrête jamais.

— Et donc, vous êtes en froid avec Maxwell ?

— Oui, réponds-je en mangeant des cacahuètes. Nous n'avons pas échangé un message de la journée.

Sahana se fait la voix de la raison. C'est elle qui me tempère au quotidien.

— Comprends-le... comment se positionner entre sa femme et son meilleur ami ? Comme toi et moi, ils ont tout vécu ensemble.

Au fond, elle n'a pas tort.

— Alors, je suis censée faire quoi ? Eleanor et Everett complotent contre moi et Maxwell paraît passif.

— Tu devrais être ravie qu'il ne soit pas comme son grand-père. Et tu vas te contenter de ce que tu fais le mieux : manipuler les faibles qui se croient forts.

Je manque de m'étouffer en avalant une gorgée de mon cocktail.

— Jade... tes manigances ont débuté dès l'école primaire avec ton commerce de bonbons et de cartes Pokémon. Tu as bravé l'interdiction de l'école et de tes parents et tu roulais les autres gosses dans la farine.

Un bref rire m'échappe.

— C'était la bonne époque, ajouté-je, nostalgique.

— Au lycée, tu as truqué les élections des délégués de classe pour l'emporter.

— C'était trois fois rien, ricané-je. Nous avions besoin de parité.

— À la faculté, tu as réussi, dans l'ombre, à faire virer le prof qui te détestait et qui allait diriger ton master. Tu es faite pour être une Ward. Charles a eu le nez fin. Il a eu le flair. Tu es la meilleure des amies et la pire des ennemies. Tu ne feras qu'une bouchée de cette Eleanor si elle venait à te mettre des bâtons dans les roues. Et concernant Everett, il m'a envoyé des fleurs, m'apprend-elle avec nonchalance.

Je me raidis sur mon siège.

— Tu aurais dû commencer par ça, baragouiné-je. Je rêve... pour qui se prend-il ? C'était quand ?

— Avant-hier. Il a laissé son numéro sur la carte qui accompagnait le bouquet. Ne t'inquiète pas, je ne l'ai pas contacté et, après ce que tu viens de me raconter, sois certaine qu'il ne recevra pas de nouvelles de ma part.

— Salopard, sifflé-je, irritée. Je vais me le faire celui-ci.

— Attention, c'est le meilleur ami de ton mari...

— Il pourrait être le meilleur ami du roi d'Angleterre que ça ne me ferait ni chaud ni froid, répliqué-je tandis que Sahana éclate de rire, sublime dans une robe à sequins bleus, avec ses longs cheveux relevés en un chignon.

— Désolée, je ne peux pas rester plus longtemps, dit-elle en plaçant sa main sur la mienne.

Je dépose mon verre vide devant moi et jette un œil à l'horloge accrochée près du comptoir. Il est 21 heures.

— Je ne suis pas fatiguée et j'ai besoin de confronter Maxwell. Soit il prend parti, soit il reste en dehors de mes histoires. Je l'imagine, enfermé dans son bureau, prêt à passer la nuit au bureau pour éviter de devoir me parler.