30 septembre
En ce samedi matin, je sors d'un sommeil perturbé par les bonds intempestifs d'Atlas, qui gratte déjà les draps de ses petites pattes. Je serre l'oreiller contre moi en espérant recouvrer un semblant de quiétude, mais une réalité tout à fait nouvelle s'impose : le lit dans lequel je me trouve n'est pas le mien, mais celui de Maxwell, déjà levé depuis une heure.
La pièce baigne dans une douce clarté. Les tentures entrouvertes laissent filtrer une lueur diffuse. Je me redresse, nue, encore marquée par l'empreinte d'une nuit brûlante. Un frisson me traverse alors que je chasse le souvenir des caresses de Maxwell.
Je me lève, enroule un drap autour de moi et gagne la salle de bains. Le marbre glacé sous mes pieds m'arrache un sursaut. Sous la douche, l'eau s'écrase contre ma peau. Les images de la nuit s'accrochent à mon esprit, vives et intenses. Je les balaie et me concentre sur l'instant présent. Je ne peux pas me permettre de vaciller, pas maintenant. La limite que nous avons franchie avec Maxwell n'est pas si surprenante... la tension et le désir se sont transformés en un cocktail explosif.
Lorsque je ressors de la salle de bains, je me dirige vers le dressing pour enfiler une tenue de sport.
Atlas me suit, tout excité à l'idée d'une promenade après avoir dévoré ses croquettes. Je prends sa laisse et retrouve Ethan qui m'attend en jogging devant l'ascenseur.
— Allons courir, dis-je.
Il incline la tête en signe d'assentiment et nous quittons le bâtiment. À l'extérieur, l'air frais me pique les joues. L'avenue qui s'étire devant moi brille sous la lumière naissante, peu encombrée par la circulation. Je lance un regard à Ethan, à bonne distance, habitué à ne jamais me gêner.
Je démarre au petit trot, Atlas bondit à mes côtés, sa truffe se dresse pour happer tous les parfums de la ville. Les façades défilent, des joggeurs nous croisent, les klaxons résonnent au loin. Je me concentre sur mes foulées et sur le rythme régulier de ma respiration. Je retiens un sourire en songeant à notre destination.
Au bout de quelques pâtés de maisons, j'oriente ma course vers une prestigieuse banque de l'Upper East Side. Je gravis les marches d'un bâtiment imposant, Ethan me devançant pour signaler mon arrivée à un agent de sécurité. Les portes vitrées coulissent devant moi, laissant place à un hall feutré, orné de marbre et de colonnes lustrées. Une réceptionniste au tailleur impeccable m'accueille, vérifie mon identité et me fait signer un registre avant qu'un responsable m'accompagne jusqu'à la zone des coffres privés.
Ethan attend près de l'ascenseur intérieur avec Atlas, tandis que je pénètre dans un couloir où trône une rangée de portes blindées et de caméras. L'employé m'introduit dans une salle sécurisée, puis disparaît pour me laisser seule. J'ouvre le coffre qui m'est attribué et aperçois finalement le dossier que j'ai stocké ici quelques semaines plus tôt. Je le saisis et l'emporte vers une petite table. La lumière blanche qui éclaire l'espace me donne l'impression d'être dans un laboratoire où chaque détail doit être passé au crible.
Je saisis le contrat qui me lie aux Ward et le parcours avec attention. Au fil des lignes, je tombe sur une phrase qui me laisse immobile.
« Le jour de son mariage, après signature des registres officiels, Maxwell Daniel Ward sera désigné président directeur général de Ward Corporation par Charles Ward, actionnaire majoritaire qui lui cédera (...) la totalité de ses parts, soit 41 %. »
Je relis plusieurs fois ces mots. Ils confirment mon souvenir. Ward Corporation s'appuie sur un vieux principe familial liant mariage et succession. À l'évidence, Charles a introduit des clauses particulières, pour préserver l'esprit clanique de cette famille puissante. Je me lève, d'un bond. Avec ses 9 % de parts et les 41 % de Charles, Maxwell obtiendra la direction incontestée de Ward Corporation, indépendamment de l'avis des actionnaires, de son père ou de son cousin. Je referme le dossier, le range dans le coffre et quitte la banque.
Je m'accorde encore quelques foulées dans le parc adjacent, afin de calmer le flux d'adrénaline qui m'assaille. Atlas se dépense, reniflant chaque recoin herbeux. L'idée de me marier si vite avec Maxwell ne m'enchante pas, mais avons-nous une alternative ? Non. Si Thomas devenait PDG, il serait un caillou dans ma godasse, étant donné que son seul but est d'écraser son cousin qu'il voit comme un rival. Je pourrais en faire les frais, et il en est hors de question.
De retour à la tour Ward, j'ignore les regards hostiles du propriétaire, que Maxwell congédie sans ménagement. Je songe au fait que je n'ai jamais eu autant d'ennemis qu'en fréquentant les Ward. Est-ce la rançon du succès ? Arrivée au penthouse, je prends la direction du bureau de mon fiancé. J'ouvre la porte sans frapper, poussée par l'urgence de la situation.
Maxwell fait les cent pas, le portable à l'oreille et s'interrompt quand il me voit entrer. Il fronce les sourcils et pince les lèvres, comme à chaque fois qu'un imprévu perturbe la machine bien huilée qu'il s'acharne à faire fonctionner.
Il termine l'appel d'un ton sec, puis pose son téléphone sur son bureau.
— Comment puis-je t'aider ? marmonne-t-il en massant ses tempes.
Je l'observe un bref instant. Malgré la fatigue qui l'habite, sa prestance demeure intacte.
— J'ai pensé à différentes solutions pour notre problème. Passant du mercenaire, à quémander l'aide d'Eleanor. Puis, j'ai songé qu'il serait stupide de montrer l'une de tes faiblesses à la première dame de ce pays.
— Oui, très stupide, baragouine-t-il, bien que la faiblesse ne soit pas le terme approprié pour définir un Ward.
Je laisse planer le suspense.
— Jade, je n'ai pas le temps de bavarder. Je...
Je l'interromps.
— Regarde ça, dis-je en sortant mon téléphone.
Je fais défiler les images, puis je m'arrête sur la photo du contrat prise dans la salle des coffres, où figure la fameuse ligne qui va lui donner des ailes. Maxwell saisit l'appareil, lit, et relève la tête.
— Comment ai-je pu négliger ce point ? lance-t-il, étonné que je l'aie devancé.
— Tu étais trop occupé à vouloir la jouer solo avec tes avocats, répliqué-je, un sourire en coin. Mais continuez de creuser pour dénicher les secrets de nos rivaux, ça pourra nous être utile un jour.
Il croise les bras en reprenant un air impassible.
— Infidélité et tentative de meurtre, j'ai déjà de quoi faire pencher la balance en ma faveur.
J'écarquille les yeux. Où ai-je atterri ?
— Oui, mais ça ne fera pas de toi l'actionnaire majoritaire. Ton cousin et ton père auront toujours l'occasion de tenter un soulèvement.
Maxwell esquisse un sourire carnassier.
— Qu'attends-tu de moi, Jade ?
Je m'appuie sur le bureau, le défiant du regard, avec en tête le souvenir brûlant de notre nuit. Nous ne sommes pas incompatibles sur tous les plans.
— Je veux un poste dans ta fondation d'art, exposé-je, sérieuse.
Intrigué, il hausse un sourcil. Ward Corporation s'est offert une image philanthrope grâce à sa fondation. C'est une vitrine parfaite pour mon ambition personnelle.
— Tu veux un poste ? questionne Maxwell avec méfiance.
Il reste immobile pour ne pas dévoiler la moindre faille.
— Un poste à la direction.
— Les gens penseront à du piston, réplique-t-il du tac au tac. Il faut apprendre à marcher avant de courir.
— Je m'en fiche. J'ai un master en art, j'ai travaillé dans une bibliothèque et j'ai fait du bénévolat dans des associations... je ne me suis pas tourné les pouces avant de te rencontrer.
Il me fixe comme s'il essayait de décoder mes motivations. Je conserve mon aplomb, même si j'ai conscience de franchir une nouvelle limite. Une limite qui va me lier à Maxwell pour le meilleur et pour le pire.
— Un mariage nous placerait sous les feux médiatiques, mais nous n'ignorons pas le gain potentiel. Selon la clause, dès l'officialisation, tu seras l'héritier incontesté de Ward Corporation.
— Tu proposes de devenir ma femme dans les plus brefs délais pour me rendre intouchable, résume-t-il, en plissant les yeux.
— Tu n'auras plus besoin de marchander chaque vote au conseil d'administration, dis-je en observant les notes sur son bureau. Les rênes de l'empire seront à toi, légalement et sans ambiguïté. Tu pourras éloigner Thomas et ton père de la société.
— Et punir ces traîtres d'actionnaires qui auront tenté d'évincer grand-père.
Je fais glisser mes doigts sur le rebord du bureau. Maxwell me jauge comme un prédateur. Son silence se prolonge, je sens qu'il est à la fois troublé et intéressé. Mes paroles ont réveillé chez lui un instinct conquérant. Son ego se hérisse à l'idée d'être aidé par sa future épouse, mais il finira par s'y faire. Je ne fais pas de figuration. Jamais.
— C'est de la folie, finit-il par articuler.
La réalité le rattrape. L'engagement, le mariage, tout devient soudainement plus concret.
— Nous sommes déjà engagés dans une histoire qui nous consume.
Son regard s'enflamme lorsqu'il me dévisage. Le souvenir de notre dernière nuit flotte sans doute dans un coin de son esprit. Malgré la tension ambiante, une étincelle de désir traverse ses iris.
— Et si je refuse ? lâche-t-il, défiant, pour me signifier qu'il est le maître de la situation et qu'il aura le dernier mot.
— Tes options s'amenuisent. Ton père et ton cousin conspirent, et ton grand-père ne te cédera jamais son poste si tu restes célibataire. Cette clause fait pencher la balance de ton côté.
— Ou en ta faveur, rétorque-t-il.
Je me redresse. Je n'ai pas l'intention de me laisser intimider par son attitude soudainement froide.
— Je suis prête à mettre mes talents de stratège à ton service. Mais, comme je te l'ai signifié hier, tout a un prix. Je n'ai pas signé le contrat qui nous unit de gaieté de cœur.
— Mais maintenant, tu te rends compte que la vie à mes côtés n'est pas si terrible, ricane-t-il. Je ne suis pas si méchant.
— Si tu parviens à me supporter, j'en ferai de même. Et je surveillerai tes arrières pendant que tu te concentreras sur les affaires. Plus vite nous serons mariés et plus vite nous pourrons mettre fin à cette mascarade en divorçant.
— On ne divorce pas si facilement d'un Ward, clame-t-il. Et tu le sais. Tu t'accommodes plutôt bien de ta nouvelle vie de luxe et de confort.
Je ricane à mon tour en me plantant devant lui.
— Fais le bon choix.
Je m'éloigne à reculons. Lorsque je suis sur le point de quitter le bureau, sa voix s'élève.
— Je t'offrirai un poste au sein de la fondation quand tu détiendras l'un des secrets d'Eleanor ou de son cher mari, conclut-il, joueur, en m'observant. Si tu arrives à mettre des bâtons dans les roues de mes proches, tu parviendras sans problème à t'immiscer dans la vie de la première dame.
— J'y travaille, soufflé-je alors qu'il s'avance, ses doigts se refermant sur mon menton.
— Travaille plus vite, murmure-t-il, impérieux.
Je me hisse sur la pointe des pieds, mes lèvres effleurant les siennes avant d'y imprimer une légère morsure. Surpris, il se redresse.
D'un geste, je le repousse et recule sans le lâcher du regard.
— J'y travaille, répété-je, sûre de moi.
Je tapote son torse.
— Au fait, je veux que notre mariage ait lieu en Italie. Au bord dulac de Côme, ajouté-je avant de pivoter, quittant
***
N'hésitez pas à voter ;)