AMELIAJ'étais l'ombre, elle était le soleil
J'aurais aimé être la lune
Pour qu'enfin ma présence l'émerveille
Mais elle était l'astre
Et moi pauvre contraste dans l'impasse d'une ruelle
Jeanne avait semblé ailleurs toute la journée. Ce qui était étrange puisque d'habitude elle vivait le moment présent et rien d'autre. Ce qui lui conférait une présence irrésistible, il fallait bien l'avouer. Mais pas aujourd'hui. Elle semblait effacée et je n'avais pas l'habitude de partager cet espace avec elle. Celui des gens discrets. Réceptacles d'une autre réalité.
Je m'en étais accommodée. On ne me remarquait pas. Et je préservais ma paix comme ça. Jeanne était la plus rayonnante de nous quatre. Moi j'étais invisible dans ce monde. Mais dans le mien, j'avais mille idées. Et ça me convenait très bien de ne pas avoir à les partager. Je vivais dans mes illusions, mes rêveries. J'étais celle qui imagine, pas celle qu'on imagine. La poétesse, pas la Muse. Jeanne, si. Et je l'ai souvent imaginé dans des tas de réalité, sous une lune éhontée, drapée de nuit, voluptée.
J'étais comme tout le monde, finalement. Tous les garçons de cet établissement. Il y avait toujours autour de nous une floppée de prétendants. Mais elle aimait les femmes, elle le disait souvent. Parfois elle s'amusait avec l'un d'eux, juste un instant. Si j'étais courageuse, je l'aurais aimé mieux que tous ces amants. Mais ce serait trop beau pour être vrai. C'était sans doute pour cette raison que j'étais quelqu'un de réservé. Je me préservais pour mes illusions comme d'autres pour leurs futurs maris j'imagine. J'en mourrais de perdre la passion. Mais je souffrais aussi beaucoup de cette double vie. Comme une infidèle qui mentirait à perdre la raison.
Alors que j'étais affalée sur le canapé, je vis mon écran afficher une notification. C'était Jeanne et je trouvais ça étrange qu'elle m'envoie un message qu'à moi au lieu d'envoyer sur le groupe "les daronnes". C'était Madeleine qui avait eu l'idée de ce nom parce qu'elle disait, avec raison, qu'on avait toutes des prénoms de grand-mères. Hortense, Madeleine, Jeanne, et moi. Amélia. Apparemment mon prénom était moins choquant que les leurs. J'avais vu à leurs yeux que c'était un compliment, mais ça m'avait blessé, évidemment je ne l'avais pas dit. Mais j'étais toujours moins. Voilà ce que j'avais ressentis.
Je déverrouillais mon téléphone sans en attendre quelque chose d'intéressant.
« Tu veux être ma cavalière ? »
J'ai dû relire la question au moins cinq fois, mot par mot, pour être certaine qu'il ne s'agissait pas d'une illusion.
L'emoji mort de rire qui vint à la suite me fit l'effet d'un coup de poignard.
Je n'arrivais pas à l'interpréter. Dans l'idéal ce serait juste pour masquer sa gêne. Ça n'a pas dû être facile à envoyer comme message. J'avais le cœur tremblant, tout en moi s'agitait.
Je clignais les yeux pour en extraire la fatigue mais le sens du message était intact. Jeanne me demandait d'être sa cavalière. De sortir avec elle. Elle avait dû recevoir tellement de demandes qu'il m'était difficile de comprendre pourquoi elle me le proposait à moi.
J'avais l'impression que ma vie allait changer du tout au tout selon la réponse que j'allais donner. Je me repassais tous les éléments de ma vie pour avoir une idée de ce à quoi ça pourrait ressembler. J'aimais Jeanne mais nous n'en avons jamais vraiment parlé. Tout le monde aimait Jeanne. Je n'étais pas spéciale. Je ne suis jamais sortie avec personne. Je n'ai jamais cherché à plaire. Je n'étais pas la plus belle, loin de là et ça m'allait très bien. Elle avait su déceler en moi quelque chose d'assez important pour devenir ma meilleure amie. Mais qu'avait-elle vu de plus en moi pour me faire une telle proposition ? Ma nervosité retenait une joie intense que je ne m'autorisais pas à ressentir. Pas tout de suite. Il fallait d'abord m'assurer de ce qu'elle voulait dire. Je sentais l'espoir poindre.

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Sapphic Archives
RomanceJeanne en a marre qu'on lui dise qu'elle est trop belle pour être lesbienne. Elle assume complètement cet aspect de sa personnalité et refuse qu'on l'en prive. Puisqu'on ne la croit pas, elle décide de prendre les choses en mains : proposer à une am...