JEANNE
12 mai 2024
J'étais dans un état second. Je ne savais pas par quel miracle j'étais sortie du lit ce matin. Si, il y avait deux raisons. La première était de l'ordre des responsabilités puisque je devais emmener les filles à la gare. La seconde était de l'ordre de l'espoir, ou du désespoir, à l'idée de dire au revoir à Amélia.
Nous n'avions pas passé notre dernière nuit ensemble et ce n'était peut-être pas plus mal comme ça même si mon corps entier se resserait sur lui même à cette idée comme un torchon qu'on tord dans tout les sens pour le vider de son eau usée. J'étais sèche. Et toute l'eau que je pourrais boire ne servirait pas à m'hydrater.
─ Ça va aller ? s'inquiéta doucement Madeleine.
─ J'ai survécu la première fois.
─ Je suis désolée pour toi.
Je secouai la tête.
─ Je ne veux pas passer pour la gentille d'entre nous deux, je ne le suis pas. Je n'ai pas toujours su la comprendre. Et je n'ai pas cherché à le faire en pensant que ça viendrait quand ça viendrait mais ça ne vient pas.
Elle m'écoutait depuis le siège passager.
─ Vous devriez parler.
─ Quand ?
─ Je ne sais pas ! Maintenant, peut-être, vous avez assez attendu non ?
Tout à coup l'idée d'une explication précipitée qui irait droit au but sur un quai de gare devenait une possibilité envisageable.
Je me garais enfin devant le Sapphic Archives pour attendre Amélia et Hortense, incapable de peser le pour et le contre.
Hortense tirait sa valise derrière elle, beaucoup trop lourde, mais tout ce que je constatais c'était l'absence d'Amélia. Et c'est là où je compris, sans savoir comment, qu'on ne se dirait par au revoir. Et j'eus envie de verser toutes les larmes de mon corps, de m'effondrer, de ne plus jamais me lever.
─ Elle n'est pas encore prête ? demandais-je sans conviction lorsqu'Hortense ouvrit la portière.
─ Elle a prit un taxi tôt ce matin, son train était à 9h35. Je suis désolée.
AMÉLIA
J'étais enfin rentrée chez moi. Il était tôt mais j'étais déjà dans mon lit. Évidemment je réfléchissais à toutes les façons dont cette journée aurait pu se dérouler si Jeanne et moi avions su trouver les mots la veille. La vérité c'était que je n'avais pas assez de recul sur la situation pour me dire que si nous recommencions ça se passerait autrement. Quand je me retrouvais face à mon ordinateur avant d'écrire, il y avait de longs instants dans lesquels j'essayais de trouver une position adéquate pour lui faire de la place, faire de la place à mes mots, à mes jambes, mon dos, à ce que j'ai dans le cœur et dans la tête, entre mes cuisses, sur ma peau, à ses lèvres et à son corps entier aussi. Je devais faire de la place à ce qu'il venait de se passer. Encore fallait-il démêler le vrai du faux. Quelque chose que je ne pouvais pas nier, c'était que je me trouvais moche à l'instant. Je ne me sentais pas bien dans ma peau. Si je manquais de nuances j'aurais pu trouver une réponse toute faite, j'aurais pu me dire que Jeanne avait fait ressortir l'ancienne version de moi que je n'aimais pas. Mais ce n'était pas vrai. Je ne m'étais pas sentie moche à ses côtés. Je pouvais aussi me dire, de façon plus romantique, que je ne supportais pas son absence et que sans elle j'étais moins belle. C'était bon à savoir puisque j'avais justement peur de l'inverse avant de la retrouver. Enfin, de façon plus pragmatique je savais que j'allais pas tarder à être réglée. C'était une évidence que j'oubliais trop souvent et pourtant à chaque fois c'était la même histoire : je n'arrivais plus à me trouver belle ni à trouver du sens à ma vie. Une sorte de détresse qui me prenait par surprise, que je ne parvenais pas à anticiper alors que je passais le reste de mes jours à essayer de l'éviter.

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Sapphic Archives
RomanceJeanne en a marre qu'on lui dise qu'elle est trop belle pour être lesbienne. Elle assume complètement cet aspect de sa personnalité et refuse qu'on l'en prive. Puisqu'on ne la croit pas, elle décide de prendre les choses en mains : proposer à une am...