ÊTRE ELLE OU AVEC ELLE
chapitre 12
AMÉLIA
16 juillet 2018
Plus de deux semaines que je n'avais pas reprit contact avec les filles. C'était à la fois beaucoup et rien du tout. En tout cas ce n'était pas suffisant pour que ma colère se tarisse et je me laissai l'opportunité de leur envoyer un message quand j'en ressentirai l'envie. Je n'avais pas fait grand-chose d'autre que dormir. Je voulais oublier le monde. Oublier qu'elles étaient peut-être en train de passer leur meilleur été, comme elles l'avaient prévu. Elles étaient peut-être complètement façonnées par les dictats de la société mais la vérité c'était qu'elles étaient en train de s'amuser et que moi j'étais seule.
Je sortais difficilement de mon lit. Je me regardais dans la glace. Je réfléchissais à mon avenir. Je ne m'étais même pas inscrite sur parcoursup. Le pire c'était que ça ne m'inquiétait pas plus que ça. J'avais passé l'année à voir mes camarades de classe se mettre dans tous leurs états de peur que leurs choix d'orientation ne soient pas acceptés. Je n'avais pas éprouvé grand-chose. On aurait dit qu'ils jouaient leurs vies. C'était peut-être le cas. Moi j'avais un recul beaucoup plus grand par rapport à tout ça, peut-être trop.
Était-ce si important d'être accepté quelque part ?
Ça ne m'était jamais vraiment arrivé, alors je ne pouvais pas savoir. A part avec les filles, parfois. J'avais bien conscience qu'il devait y avoir une faille en moi. Quelque chose qui ne fonctionnait pas vraiment bien pour que j'en arrive à me retrouver toujours isolée.
J'avais bien quelques idées. Peut-être étais-je trop sensible et qu'il fallait que je trouve du sens à la moindre petite chose pour m'y intéresser. Peut-être que j'avais peur de vivre par peur de créer des mauvais souvenirs. Peut-être que je prenais les choses trop à cœur. Peut-être que j'étais un peu en dépression. Rien ne me donnait envie de vivre.
Ou peut-être que j'avais trop envie de vivre mais comme tout ne se passait pas comme je le voulais alors je préférais me retirer de la scène pour attendre en coulisses. Je n'étais pas celle que je pensais être. Comment agir en étant témoin de ça ? C'était lors d'une soirée pyjama chez Jeanne que je m'en étais rendue compte.
Nous étions en train d'essayer des tenues pour le bal. Je m'étais contentée d'enfiler une robe que j'avais trouvé l'après-midi même lorsque nous faisions les boutiques. Elle était noire, simple, informe. Les filles disaient qu'elle m'allait bien, je me suis laissé convaincre puisque je n'avais aucun discernement sur la situation. J'étais convaincue qu'il s'agissait juste du choix le moins pire pour moi sans que ce soit réellement beau. Et puis la phrase « c'est l'intérieur qui compte » continuait de tourner en boucle dans mon esprit. J'étais forcément belle puisque je me considérais comme quelqu'un de bien.
Madeleine fut la dernière à être prête avec son costume trois pièce gris et sa cravate que Jeanne termina de nouer autour de son col. Le tableau était si parfait, si évident. Je n'avais rien à faire dans l'équation. Cependant je me sentais assez bien dans ma robe, la taille était marquée, et mes collants galbaient mes jambes ce qui m'offrait une sensation de légèreté.
Jeanne m'avait demandé si je pouvais la prendre en photo. Je l'avais suivi jusqu'au balcon. Il faisait nuit mais la lampe extérieure s'était allumée. Elle se plaça face à moi, dos à la rambarde, dévoila une jambe à travers la fente de sa robe rouge, perchée sur ses talons aiguilles noirs. C'était une image que j'essayai d'imprimer dans mon esprit et j'étais soulagée qu'il en résulterait une photo souvenir même si elle n'égalerait pas cet instant magique où la lune coopère sur sa peau, ses deux coudes sur la rambarde comme si elle était parfaitement à sa place alors que sa position était logiquement inconfortable. J'aurais voulu la rejoindre pour l'embrasser mais je pris mon rôle très à cœur dans l'optique d'avoir la plus belle photo possible. J'essayais différents angles, elle me souriait, rejetait ses cheveux en arrière, et ce fut en m'agenouillant que j'obtint le meilleur résultat.
Les filles nous rejoignirent au même moment.
Hortense réclama une photo aussi et je me portai volontaire puisque j'étais sur une bonne lancée, mais il allait de soi que Jeanne était mon modèle préféré.
Hortense était plus décontractée, elle fit la moue, tira la langue, se mit à rire trop fort et fut satisfaite de presque toutes les photos.
─ C'est fou comme on peut cacher nos défauts en posant ! s'exclama-t-elle. A toi Mad !
Madeleine se prêta au jeu tandis que je commençais à perdre le sourire.
Elle s'appuya contre le mur du balcon avec nonchalance, une cigarette au bord des lèvres.
Elles allaient forcément me proposer de poser aussi.
Je prenais quelques clichés de Madeleine mais le cœur n'y était plus.
Hortense se pencha sur mon épaule pour analyser le résultat.
─ Regardez-moi ce mystérieux gentleman !
Mad lui répondit par un doigt d'honneur et elles se mirent à ricaner.
─ Je te prends en photo ! me dit Hortense.
Je fis non de la tête.
─ Merci mais je n'en ai pas besoin, soufflais-je.
─ On ne fait pas de photos parce qu'on en a besoin, répondit-elle.
─ Ah ouais tu crois ? C'est comme les desserts au restaurant, ça se mange sans faim ? la taquina Madeleine.
─ Je ne poste jamais sur insta de toutes façons, tentais-je de garder la face.
─ Comme tu veux, murmura-t-elle.
Je pouvais souffler lorsque Madeleine reprit :
─ On prend au moins une photo toutes les quatre ! Ce n'est pas n'importe quel jour ! C'est le jour des essayages de nos tenues de bal quand même !
Bon, une photo de groupe ce serait moins difficile. J'essayai de me laisser guider par leur enthousiasme. Jeanne délaissa son téléphone et son lit pour nous rejoindre. Elle élabora un trépied de fortune à l'aide d'une pile de livres sur laquelle nous faisions tenir le téléphone. Elle lança le minuteur et nous nous collions les unes aux autres dos à la rambarde.
Jeanne avait levé sa jambe et nous la récupérions toutes les trois, tandis que mon bras était enroulé autour de sa taille.
Le flash de l'appareil nous a éblouit et nous pouvions enfin reprendre notre oxygène.
Mon cœur se mit à battre un peu plus vite. Elles se jetèrent sur la photo. Je me disais que ça ne pouvait pas être si terrible que ça. Que j'étais surement belle sans le savoir. Mais lorsque je me vis, c'était encore pire que ce que je pensais. Je ne ressemblais à rien. Mon sourire était une grimace. Je ne savais pas où regarder. J'avais les épaules rentrées, j'étais tassée, décoiffée. Les filles elles, resplendissaient. Et les larmes me montèrent aux yeux.
─ T'es trop belle Amélia !
Personne n'y a cru. Je ne savais même plus distinguer la voix de celle qui l'a dit.
« Le physique ne compte pas. »
Alors pourquoi j'étais si triste face à moi ?
Mon reflet actuel me ramena au présent. J'avais les cheveux en bataille, le visage éteint. Je n'étais pas totalement différente de la fille sur la photo. Je ne pouvais pas me dire que c'était un mauvais angle, une mauvaise lumière, puisque j'étais elle. Mais je savais qu'elle n'était pas moi.

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Sapphic Archives
RomanceJeanne en a marre qu'on lui dise qu'elle est trop belle pour être lesbienne. Elle assume complètement cet aspect de sa personnalité et refuse qu'on l'en prive. Puisqu'on ne la croit pas, elle décide de prendre les choses en mains : proposer à une am...