AMÉLIAJeanne nous indiqua que la coloc se déroulait ici. C'était la porte à l'étage des chambres sur laquelle était placardée l'affiche « secret lesbians society ».
Jeanne nous proposa de nous installer sur les canapés désaccordés qui prenaient presque la totalité de l'espace en dehors d'une table collée au mur et de quelques chaises entreposées par-dessus où rangés en dessous.
Une dame d'un certain âge fut la première à entrer. Le chat persan que j'avais déjà croisé la suivait en zigzaguant entre ses pas. Elle semblait habituée, habilement perchée sur ses talons.
─ Ah je suis heureuse de vous voir ici, avança-t-elle en s'asseyant.
─ Ernestine, je vous présente Mad si vous ne l'avez pas déjà croisé.
Jeanne avait déjà évoqué ce prénom. Ce devait être sa patronne.
─ Enchantée, s'enquit Madeleine munie d'un large sourire.
─ Vos tableaux sont sensationnels ! C'est une chance pour nous de pouvoir exposer une artiste prometteuse comme vous. Je me réjouis de voir la réaction des visiteurs. Et bienvenues à vous deux aussi, s'adressa-t-elle à Hortense et moi. J'avais proposé à Jeanne de vous inviter à séjourner ici lorsqu'elle à découvert que la mystérieuse Mad était enfaite une amie de votre groupe, il me semblait idéal que vous puissiez vous réunir. Seulement des chercheurs m'ont prévenu au dernier moment qu'ils auraient besoin des chambres, ce que je n'avais pas prévu et je m'en excuse. Vous avez pu vous installer convenablement tout de même, j'espère.
─ Oui tout est parfait, merci, assura Madeleine.
─ Mad et Hortense se partagent une chambre. Et j'ai invité Amélia à partager mon appartement.
Je hochai vivement la tête pour signifier que tout allait bien.
Au même moment Francesca et Sabrina entrèrent en saluant tout le monde, l'une des deux tira une chaise pour s'assoir en déposant son gobelet à café sur la table ainsi qu'un trousseau de clé.
Un homme avec un dossier sous le coude et un stylo entre les doigts murmura un « bonjour » puis il prit place un peu à l'écart. Deux femmes que je n'avais pas encore rencontrées discutèrent immédiatement avec Sabrina. Je compris qu'elles faisaient parti de l'équipe et qu'elles travaillaient dans le classement des archives pour l'une et que l'autre avait un rôle dans la relation client. D'après ce que j'entendais la première s'appelait Nadine et la seconde Laure, très masculine.
─ Il manque Léone, constata Ernestine.
─ Je l'ai vu il y a dix minutes, expliqua Sabrina. Il a dit qu'il arrivait.
La patronne déposa ses mains sur ses genoux et le chat grimpa à côté d'elle ce qui lui valut une caresse.
─ Ah voilà le retardataire ! s'exclama Francesca.
─ Toujours en retard, c'est terrible, concéda-t-il.
C'était une drag queen. Sa longue perruque blonde et son allure de diva était à couper le souffle.
─ Les filles, je vous présente notre barman lors des soirées que Jeanne organise !
─ Enchanté, Léone ! rappliqua-t-il en nous balayant du regard.
─ Enchantée, nous sauva Madeleine.
─ Tu dois être la peintre ?
─ C'est ça ! Et mes amies Hortense et Madeleine m'accompagnent.
─ Top ! approuva-t-il d'un clin d'œil en faisant valser sa chevelure.
Il prit place à côté d'Ernestine qui se redressa :
─ Bon, puisque tout le monde est là... commençons !
─ Oh, je pensais à quelque chose, intervint Jeanne en se tournant pour me regarder droit dans les yeux. Amélia écrit des poèmes saphiques. Elle vient de sortir son dernier recueil mais malheureusement elle fait face à un badbuzz, elle est venue trouver des réponses. Peut-être que vous auriez des pistes...
Mon cœur battait trop vite. J'aurais voulu prendre sa main dans la mienne. Ce geste avait le don de m'apaiser.
─ Qu'est-ce qu'il se passe avec ton recueil ? demanda Laure.
─ J'ai écrit un poème qui a connu plusieurs interprétations qui le qualifieraient de problématiques. Je ne sais pas trop quoi en penser... J'ai écrit « il n'y a plus rien de beau, il n'y a plus que les femmes ».
─ Ah je vois ! réfléchissais Laure, tournée vers Nadine.
─ Ecoutez Amélia, nous avons une résidence d'écriture de deux semaines prévues en Aout. Vous n'avez qu'à venir écrire. Vous aurez tout le temps de trouver des réponses. Et puis nous recherchions des autrices pour faire une conférence à la fin des deux semaines, proposa Ernestine.
Je pesais le pour et le contre. J'avais du mal à trier les informations parce qu'accepter signifiait avant tout revoir Jeanne.
─ Je vais y penser, merci.
Ernestine acquiesça. Je sentais Jeanne tendue.
─ Si je peux donner mon avis, ceux qui critiquent sont trop bêtes pour voir que les femmes sont belles ! s'indigna Léone.
─ C'était l'idée de base. Mais apparemment c'est plus compliqué que ça, expliquais-je.
Il balaya ma réplique d'un revers de la main.
Laure et Sabrina débattaient aussi de leur côté mais la conversation se dirigea sur Madeleine et ses œuvres. Elle dû faire un petit briefing pour l'équipe.
La réunion se termina au bout d'une heure et demie. Jeanne avait rempli deux pages de notes pour se souvenir de tout ce qui avait été dit pour les prochaines semaines. Et enfin, nous pouvions rentrer.
L'étage était vide, il ne restait plus que nous quatre. Les filles se dirigeaient vers leur chambre.
─ On se tient au courant, leur indiqua Jeanne puisque c'était vendredi soir et qu'on ferait sûrement quelque chose ce week-end.
Puis en se retournant, elle passa une main dans mon dos pour me guider vers l'escalier.
La vague de chaleur que son touché avait provoqué avait donné un nouvel élan aux battements de mon cœur et une impulsion à mon bassin qui me donna envie de descendre les marches juste pour elle. Ce qui n'avait aucun sens. Pourtant j'y décelais une vérité inébranlable, une loi universelle, de celles qui ne sont marquées dans aucun livre.
L'envie que j'avais, que nous rentrions enfin chez elle, pour retrouver notre routine incertaine me faisait peur. Mais ce n'était pas étonnant de ma part, j'y avais trouvé un repère et c'était ce qui me paraissait le plus familier dans tout mon séjour.
Jeanne était sous la douche, et comme la journée avait été longue la moindre des choses était que je fasse à manger. Je passais en revue ce qu'il y avait dans le frigo et ouvris deux ou trois placards afin d'avoir une vision d'ensemble sur les possibilités que j'avais.
La lesbienne : Jeanne est la femme parfaite.
La femme : Jeanne est justement la femme parfaite donc je ne pourrais pas l'être.
Je tiens à l'une comme à l'autre. Et pour rester en un seul morceau, il me faut me choisir.
Juste des maths de lesbienne. Ça s'apprend sur le tas. Et putain, que c'est difficile. Je n'aurais jamais la moyenne.
Je refermais le placard en ayant aucune idée de ce qu'il contenait. Je me rabattis sur le frigo, en sortais deux courgettes, un poivron et des aiguillettes de poulet.
Je découpais les légumes sur la planche que j'avais trouvé dans l'égouttoir. Une chaleur enveloppante me parcourut lorsque Jeanne se penchait par-dessus mon épaule pour évaluer mon travail.
Je ne l'avais pas entendu arriver. Je me tournais face à elle, les joues rosies, elle n'était couverte que d'une serviette.
─ J'espérais avoir le temps de finir avant que tu sortes, balbutiais-je.
C'était définitif, j'avais le don de dire des phrases insignifiantes de manière dramatique. Et ça ne m'arrivait qu'avec elle. Son regard était planté dans le mien. C'est quoi des envies de lesbienne, et c'est quoi des envies de femmes ? J'étais presque sûre que j'avais envie de ce dont une femme avait envie physiquement.
─ Oh, tu es mon invitée, me rappela-t-elle ce qui me fit plus mal que prévu, physiquement. Je vais le faire, ne t'inquiète pas.
Je sentis le couteau s'enfoncer dans mon ventre.
Je voulais le faire pour toi.
─ Non, non, il n'y a pas de problèmes. Tu as eu une grosse journée ! Je m'en charge, articulais-je. Et si je n'étais pas ton invitée, ne pus-je m'empêcher de continuer, qui de nous deux aurait cuisiné ? Tu m'aurais laissé faire ?
─ Si tu n'étais pas mon invitée ?
Elle affichait un air troublé, et comme moi un peu plus tôt elle évaluait les possibilités. Dans son regard elles ressemblaient curieusement à de l'espoir. Et son regard avait toujours eu cet effet miroir.
─ J'étais plus que ça, avant.
─ T'as toujours été plus que ça.
Une amie ? Une meilleure amie ? Une ex-petite amie ? D'accord. Et après ?
─ Va t'assoir, lui ordonnais-je avec une confiance feinte.
─ Oui madame.
Elle s'en alla.
Il me fallut prendre appui sur le plan de travail pour rester debout.
Avant de servir le plat, j'eus besoin de passer par la salle de bains, me rafraichir. Je remis de la brume, recoiffait mes cheveux, et pinçait les lèvres pour répartir le gloss. Il partirait dans cinq minutes en mangeant mais l'important c'était le moment où elle s'en apercevrait. Je défroissais le bas de ma robe avant de servir les plats.
Il m'en fallut du courage pour ne rien renverser devant son rictus amusé. C'était mon cœur désorganisé que je venais de poser sur la table.
Et chaque bouché qu'elle savourait me réjouissait plus que ce qu'une invitée qui cuisinait par politesse aurait ressenti.
─ Tu as reçu un message, dis-je en lui indiquant son écran qui venait de s'allumer.
Et parce qu'il fallait bien briser le silence.
─ C'est Madeleine, m'annonça-t-elle.« Coucou les filles, j'ai un prof qui nous a demandé un travail de dernière minute avant la fin de l'année.
La consigne c'est d'assembler ces deux thèmes : beau et nu. D'habitude quand on veut peindre du nu on s'entraide avec ma classe ou parfois il y a des modèles qui viennent, on pose les uns pour les autres, mais comme je ne suis pas sur place... C'est gênant, je suis à deux doigts de supprimer mon message mais... je voulais savoir si vous accepteriez de poser pour moi ? 😊 ».

VOUS LISEZ
Sapphic Archives
RomanceJeanne en a marre qu'on lui dise qu'elle est trop belle pour être lesbienne. Elle assume complètement cet aspect de sa personnalité et refuse qu'on l'en prive. Puisqu'on ne la croit pas, elle décide de prendre les choses en mains : proposer à une am...