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La litt¨¦rature, c'est du voyeurisme !

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L'idée que le lecteur est un voyeur a déjà été émise, par exemple par Fernande Schulman dans un article. J'aimerais parler de point de vue, d'énonciation et de cette façon dont un lecteur est immergé dans une scène. Le rapprochement entre littérature et cinéma a été fait dans l'oeil Caméra de François Jost. Il y est question du point de vue (omniscient, externe, interne). Mais la littérature, c'est davantage une caméra cachée. Elle peut dénoncer, comme celles de la L214 dans des élevages et des abattoirs, elle peut espionner, elle montre. Mais bien sûr, tout est scénarisé et construit, et sauf pastiche ou autres cas spécifiques cela ne doit pas paraître scénarisé. Il y a aussi une forme de complicité : regardez, on va s'aventurer dans les pensées du personnage, ce lieu où personne n'a accès ! Vous êtes, lecteur, un hôte privilégié. 

Mais parfois, le voyeurisme pose des problèmes spécifiques. Sur ¶¶ÒõÉçÇø, les directives de contenu régulent le rapport des auteurs à la violence, à la sexualité, et aux sujets "mature", qui doivent être signalés. La pornographie est interdite, et si une scène de sexe est autorisée sous certaines conditions, d'âge notamment, elle ne doit pas être l'unique but de l'œuvre. En fait, c'est comme un reproche qu'on peut adresser à tout scénariste (dont un écrivain) : mettre une scène de violence ou de sexe "gratuite". C'est à dire que son intérêt scénaristique n'est pas clair. L'intérêt scénaristique est une notion essentielle, qu'il convient de se rappeler quand on montre un viol, par exemple. Le développement du personnage ou de l'histoire peut il se passer de cette scène ? Est ce vraiment nécessaire ? A propos de culture du viol, je pense au regard masculin. Il est logique qu'il domine, et d'ailleurs, la neutralité c'est souvent le dominant : si le personnage est blanc par défaut et noir si on le précise, ou homme par défaut et femme si on le précise, c'est bien que le neutre, nous, c'est le dominant, et que la femme par exemple incarne l'Autre comme dit de Beauvoir, l'altérité. Derrière la caméra il y a un caméraman, même si cela peut être subtil. Dans Efuru, roman nigérian de Flora Nwapa et peinture de mœurs traditionnelles, la narration n'est que peu explicitement critique, mais le lecteur comprend subtilement que Nwapa condamne l'excision, par exemple. Elle inspirera Ngozi Adichie, entre autres.

Tout le monde est un peu voyeuriste. Dans les peintures, on voit des gens qui souffrent, à la guerre, par exemple. Certaines représentations du Chirst montrent son sang et sa souffrance sur la croix. Certains genres littéraires sont particulièrement voyeuristes, y compris la non fiction. Le true crime se fonde sur des meurtres ayant réellement eu lieu, c'est un "polar" de non fiction en quelque sorte. De même, certaines critiques adressées à l'ethnologie, qui décrit la façon dont des peuples lointains vivent, sont que l'ethnologie porte un regard "voyeuriste" sur des peuples, et d'ailleurs l'ethnologue doit s'intégrer dans les communautés qu'il décrit. Je ne fais pas le procès de cette discipline, je dis simplement que la question se pose (Dalla Bernardina Sergio. Les confessions d'un traître. Du caractère indécent de l'enquête ethnographique et de la manière de s'en sortir. In: Communications, 94, 2014. Chercher. S'engager ? pp. 91-107.), et que les ethnologues en sont conscients. Faire de nos lectures une démonstration de comment les gens vivent, c'est les regarder d'un œil curieux. 

Et puis, les personnages ne sont pas conscients qu'il y a un public, du moins pas toujours (il arrive aussi qu'ils écrivent consciemment leur histoire), du fait du quatrième mur. Ils ont rarement conscience d'être des personnages. Dans un de mes romans, la lexicographe amoureuse, je passe presque sous silence la dernière fois que Zuleika et sa mère voient le père cancéreux. Zuleika traite le lecteur de voyeuriste, comme pour lui dire : "alors, tu veux lire une scène tire larmes où mon père meurt, hein? Eh bien tu l'auras pas !" Zuleika a brisé le quatrième mur, elle a pris le pacte de lecture et l'a déchiré en morceaux, comme si son chagrin la faisait sortir de son statut d'être de papier, comme si la narration était hachée par l'évènement raconté. 

En littérature, il y a parfois une certaine pudeur. Je n'aime pas le scato (sauf éventuellement le vomi) qui me fait rarement rire, et que je ne trouve  pas "naturel" (dans le fait d'en parler, évidemment que c'est naturel), et je n'en mets pas dans mes écrits. Je me traite moi même d'hygiéniste littéraire. Et puis, ne pas raconter une scène mais la suggérer (différence entre érotisme et pornographie) peut rendre la chose plus puissante. Avoir une pudeur littéraire s'oppose à une littérature plus crue, comme la Charogne ou les écrits de Céline. Comment doser l'obscène (que l'on trouve dans le film triangle of sadness, ou dans la Paix d'Aristophane) ? C'est une question à laquelle chaque auteur peut répondre selon ce qu'il cherche à faire. 

Car dans le voyeurisme il y a aussi l'aspect "le spectacle pour le spectacle". Les scènes de pur voyeurisme n'apportent pas grand chose à l'œuvre. Et attention: par apporter à l'œuvre je n'entends pas nécessairement une utilité pour le scénario pur. Cela peut aussi permettre de produire un effet, ou de mettre un peu de poésie ou de réflexion. Cela peut être de la contemplation. La contemplation, à mon sens, n'est pas du voyeurisme.  



D'encre et de pixelsO¨´ les histoires vivent. D¨¦couvrez maintenant