Je vais écouter la Valse à mille temps de Brel en rédigeant.
Alors que la philosophie le relègue souvent au rang des passions et n'en fait pas un thème majeur, beaucoup d'œuvres d'art nous parlent d'amour, et la littérature ne fait pas exception. Beaucoup de romans de littérature générale nous parlent d'amour, et parfois de mariage. Tess d'Urberville, de Thomas Hardy, ou son moins tragique (et moins célèbre) sous la verte feuillée, que j'ai lus, en constituent des exemples. Il est aussi question de mœurs et de la vie rurale, peinte de manière naturaliste en dépit du lieu fictif (le Wessex, région anglaise).
L'amour est si beau que l'on veut en faire des histoires, mais paradoxalement une histoire sentimentale sera (dans Mme Bovary par exemple) associée au cliché ou à la mièvrerie. Je pense à la citation de Gide, dont hélas je n'ai pas le contexte précis (méfions nous des sorties de contexte, c'est la raison pour laquelle j'aime peu les citations, ou alors je les explique) : c'est avec les bons sentiments que l'on fait de la mauvaise littérature. La Case de l'oncle Tom est un grand roman par son thème, c'est une œuvre phare de l'abolitionnisme (qui n'est pas exempte de clichés, par exemple dans le caractère de l'Oncle Tom, soumis) et pourtant la peinture des sentiments peut évoquer ces romans pour femmes qui traitent d'amour.
Dans un roman d'amour, l'amour n'est pas une intrigue secondaire, mais la principale. Le traitement peut varier d'un roman à l'autre : ainsi, Angela Huth dans sa Nowhere Girl (Valse Hésitation) nous peint un amour froid et morose, voire un peu terne, de manière volontaire, avec évidemment des choses qui se passent mal. Pourtant, dans l'amour il est courant que l'on s'attende à une fin heureuse. Les pays anglo saxons parlent de "romance" plutôt que de roman d'amour, et la romance semble plus légère. Pourtant, ce serait oublier que l'amour alimente le tragique (bien plus que le comique qui parlera plutôt de moeurs, d'argent et de mariage, de l'aspect "visible" et social de l'amour donc). Alors certes, Roméo et Juliette, paradoxalement, commence comme une comédie, et a des ingrédients comiques jusqu'à la mort de Mercutio (d'après Stephen Shapiro, professeur de littérature).
Ecrire de la romance, c'est créer un couple (ou plusieurs ?) et un obstacle : parfois externe, interne ou les deux. On peut jouer sur la rencontre (le coup de foudre ?), la jalousie, le malentendu, l'impossibilité (ex. un personnage est marié), la fidélité, la rivalité... La comédie romantique jouera sur les étourderies. Les histoires d'amour donnent à voir une certaine conception de l'amour, et un canon du "couple idéal" : d'où une attention à porter à la culture du viol. Le genre de l'amour par excellence, c'est l'opéra (et l'opérette) : je ne connais pas d'opéra qui n'en parlent pas. Françoise Bourdin, qui écrit des romans sentimentaux, est enfant de chanteurs lyriques et dans des histoires qui vous ressemblent, biographie d'écrivain, écrit s'inspirer des arguments d'opéra pour construire ses intrigues.
En ce qui me concerne, ce n'est pas un genre que je lis, à part en littérature générale (qui compte beaucoup d'histoires d'amour). Mais ma lexicographe amoureuse, amour des mots et polyamour, est une transition toute trouvée pour vous parler aussi de Chicklit, car je pense qu'en plus de la littérature générale ce livre est à cheval entre chicklit et romance.
La chicklit reprend la notion de public cible. Je trouve cela limite sexiste, mais le fait que les autrices soient des femmes atténue un peu cet aspect : par des femmes, pour des femmes, cela fait que les femmes s'expriment. Ce n'est pas une boîte de production qui va dire : bon, dans notre cahier décharge (haha.) on va mettre du rose, de la mode et de l'amour. Et puis, la chicklit nous parle de consommation et de monde du travail dans une société occidentale et capitaliste, de façon plus ou moins critique. Le ton, à la première personne pour l'identification et la subjectivité et un peu désabusé et humoristique, est là aussi "personnel". La chicklit n'idéalise pas les situations, en cela elle est moins "romantique" que la littérature sentimentale. J'ai vu qu'une autrice ¶¶ÒõÉçÇø revisitait le mythe d'Andromède en chicklit, et je trouve ce choix judicieux, peut être le lirai je un jour.
Ma lexicographe, donc, serait de la chicklit sans une fin triste (quoi que, le traitement est optimiste) et les jeux de langage et les explications de linguistique en font une lecture un peu moins que légère. Je ne suis pas à l'aise avec ce genre : plus jeune j'en lisais, mais version ado, par exemple les Trois filles, une série de Jacqueline Wilson (autrice jeunesse anglaise dont j'aime surtout la trilogie sur Millie Plume). Aujourd'hui, je me suis découverte non binaire, et je n'aime pas exacerber cet aspect féminin, je cherche à tendre vers la neutralité de genre.
Et puis, l'amour compte dans la chicklit, mais comme une facette parmi d'autres : avec le travail (le milieu de la mode dans le Diable d'habille en Prada), l'amitié, la famille... Une correspondante en ligne me fait remarquer que le Bonheur des Dames, s'il était plus centré sur Denise et écrit par une femme, aurait pu entrer dans la catégorie Chicklit (ce qui venant d'elle sous entendait que la chicklit est inutilement dénigrée).
Donc, et je terminerai sur une question féministe : faut il dénigrer la chicklit comme étant sexiste ? En fait, je pense qu'il faut se dire les mêmes choses qu'avec les magazines féminins (capitalisme en moins, la littérature est quand même un art) : c'est une féminité exacerbée et parfois clichée, mais il y a deux façons de reprendre la question. Soit on accepte que les "sujets de femme" soient à valoriser, ce qui irait dans le sens d'une meilleure reconnaissance de la chicklit. On peut parler de '"reclaim" : par exemple, une esthétique féministe considèrera les travaux d'aiguille comme à valoriser, souvent dénigrés par leur seul caractère féminin. La chicklit serait donc cet ouvrage de couture, de crochet ou de broderie.
Soit on souhaite arrêter avec "sujet de femme", "sujet d'homme", et dans ce cas la construction d'un public cible de lectrices (plutôt jeunes, dans la trentaine) n'est pas la chose la plus judicieuse à faire. A titre personnelle, je ne suis pas différencialiste et je pense qu'il faudrait abolir le genre, mais c'est une tendance que j'ai, et j'accepte qu'on en ait d'autres, tant que l'injonction ne m'emprisonne pas.

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D'encre et de pixels
Non-FictionEssai sur l'¨¦³¦°ù¾±³Ù³Ü°ù±ð. L'¨¦³¦°ù¾±³Ù³Ü°ù±ð fait couler beaucoup d'encre. Alors, pourquoi jeter l'ancre dans ce pays d¨¦j¨¤ surpeupl¨¦ ? J'attaque ce livre alors que j'ai d¨¦j¨¤ un peu ¨¦crit. 1) Qui suis je Liv Pirosh, pour ¨¦crire ? 2) Quels secrets de fabricati...