Les mots de Jacob tournaient dans ma tête.
Le contact d'Uriel était depuis plusieurs années une part récurrente de mon quotidien. Même si nous n'avions pas toujours été comme ça, cette complicité s'était construite petit à petit, et aujourd'hui elle paraissait à tous nos proches et nous-mêmes très naturelle.
Nous avions reçu peu de retours sur notre relation ; dans mon esprit, tout le monde la visualisait comme moi. Mais après ce que venait de me dire Jacob, il était évident que non.
Le côté surprotecteur d'Uriel ne m'avait jamais vraiment alarmé. Depuis la mort de Juan, la crainte de perdre un proche le bouffait littéralement. Sans doute par pitié, par compassion, les adultes l'avaient rassuré sans jamais le défaire de son besoin de tout avoir sous contrôle. Et trop jeune pour réaliser, je n'avais pu que le regarder faire. Le temps que je comprenne la situation, Uriel avait déjà pris l'habitude de me surveiller. Sachant combien cela comptait pour lui, je n'avais jamais eu le cœur à l'arrêter.
J'avais juste fini par m'y faire.
Je ne m'étais plus posé de questions sur comment il agissait à mon égard. Tout me semblait normal. Mes sentiments pour lui étaient selon moi bien plus inappropriés que la proximité qu'il y avait entre nous.
Et depuis la soirée, son besoin de m'avoir à l'œil s'était grandement amplifié. Malheureusement, sa présence était un réconfort auquel je ne pus renoncer, pas tout de suite. Pas alors que mes souvenirs attendaient le moindre instant de faiblesse pour me mettre plus bas que terre. Mais n'étais-je pas en train de profiter de la situation au final ? Ne serait-il pas plus facile, plus saint pour nous d'y mettre à terme ? En étais-je seulement capable...
Je persistais me poser cette question alors même que je connaissais la réponse.
J'avais la capacité de prendre mes distances mais aucune volonté de le faire. Cette dépendance affective était notre bouée de sauvetage, notre exutoire, notre safe place. Je n'étais sans doute pas le seul à penser ainsi car, Uriel et moi avions beau ne pas partager les mêmes sentiments, la situation ne lui était sûrement pas passée inaperçue.
Peut-être savait-il même déjà ce que je ressentais à son égard...
Le dernier cours de la journée touchait bientôt à sa fin. Je me tendais à mesure que les minutes défilaient, redoutant mes retrouvailles avec Uriel. Maintenant que le doute planait, je craignais que le moindre instant passé en sa compagnie ne me mette en mauvaise posture.
Je n'étais pas prêt à révéler que je l'aimais. J'avais encore du mal à me l'avouer, à l'accepter. Trop effrayé à l'idée de le perdre... C'était un sacrifice auquel je ne pouvais consentir. Je préférais me mentir lamentablement, jusqu'à ce que ces mensonges se mutent en vérité.
Alors là, peut-être, je dis bien PEUT-ÊTRE, que je le lui avouerais. Il serait étonné dans un premier temps puis nous en ririons, nous rappelant de tous les moments passés ensemble sous un point de vue différent.
Cette perspective était cependant encore loin de notre situation actuelle.
Mes sentiments n'était pas une amourette passée dont je pouvais me moquer. Ils étaient bels et bien présents, dominant le moindre de mes jugements, de mes actes et de mes pensées. Ils me tourmentaient encore alors que je m'avançais vers Uriel. Il m'attendait patiemment devant le lycée, accompagné de Jacob qui avait été le premier à sortir de classe.
— Tu attends Gavyn ?
— Non non, je joue au poteau, soupira Uriel.
— Je suis là.Mes deux amis se tournèrent vers moi simultanément.
— Ça va ?
Je hochai doucement la tête.
— Et toi ?
Comme depuis hier soir, Uriel se contenta de sourire, et je dus me satisfaire de cette réponse.
— Uriel ?
— ¿Que? souffla-t-il en se tournant vers Jacob.Pour une raison inconnue, Uriel semblait épuisé, presque agacé.
— Tout va bien avec Isis ?
Je maudis intérieurement Jacob pour lui avoir posé cette question, pour avoir évoqué le nom d'une personne dont j'espérais le moins entendre en ce moment, en dépit de la reconnaissance que j'avais pour elle.
— Pourquoi tu demandes ?
— Juste comme ça ? On ne l'a plus vue depuis un certain temps alors...Les sourcils de mon ami se froncèrent légèrement. Je le vis serrer les dents puis déglutir avant de soupirer profondément.
— On... On n'est plus ensemble.
— Quoi ? m'exclamai-je. Comment ça se fait ? Pourquoi ?Il haussa juste une épaule et ce fut à mon tour de froncer les sourcils.
Ce n'était pas la première fois qu'Uriel se séparait de quelqu'un mais, en temps normal, il me parlait de ses relations fréquemment et je savais que la fin approchait à la façon dont il s'exprimait sur le sujet, ou quand il m'avouait honnêtement qu'il voulait en finir.
Mais cette fois-ci, rien ! Pas une plainte. Pas un mécontentement. Pas une dispute. Il n'y avait rien eu ! Le peu de temps passé avec eux m'avait assuré que leur relation se portait bien. Qu'avais-je loupé qu'Uriel ne m'avait pas dit ?
— Vous n'êtes plus ensemble ? répéta Jacob.
— C'est ce que je viens de dire, rétorqua-t-il amèrement, pendant que je le dévisageais.Je vis Jacob me jeter des coups d'œil en biais. Quoi ? Je le lorgnai alors qu'il me regardait, comme heureux de la nouvelle. Quelle réaction attendait-il de ma part ? La discussion que nous avions eu ce midi m'avait laissé entendre qu'il avait des soupçons sur ce que je ressentais, mais devant le sourire discret qu'il m'adressait, je sus qu'il ne doutait plus.
Espérait-il que le nouveau statut célibataire d'Uriel m'apporte une sorte de réconfort ? Quand je voyais combien cette rupture semblait l'affecter, il était impossible que je m'en réjouisse. Je compris soudainement sa récente morosité. Impuissant, je ne pus que lui prêter une oreille s'il ressentait le besoin de vider son sac ; et une épaule sur laquelle pleurer.
Pourtant Uriel se tourna vers moi, et me sourit, comme pour me réconforter. Je grimaçai devant la compassion dont il fit preuve. Sérieusement ? Un énervement soudain me crispa ; je me retins de lui sauter au cou. Il était celui qui avait besoin de réconfort ! Celui qui devait accepter mon soutien ! Mais comme il l'avait déjà fait auparavant, Uriel me priorisa.
Et je détestai qu'il fasse ça. Je ne supportais pas qu'il ait l'air de se sacrifier pour mon « bien-être ». Était-ce ce qu'il faisait ces derniers temps ? Combien de choses m'avait-il caché alors qu'il s'occupait de moi ? Que s'était-il retenu de me confesser quand il devait gérer mes traumas ? Me voyait-il comme quelqu'un de trop faible ? Incapable de le soutenir ? Se sentait-il obliger de porter mes problèmes et les siens sur le dos ?
Ses doigts trouvèrent ma joue, et la frôlèrent brièvement. Comme si un regard l'avait aidé à comprendre ce que je pensais.
— On y va ?
Son ton était calme, sans une trace d'irritation. Le timbre de sa voix m'apaisa lentement... trop lentement. L'énervement persistait malgré la douceur avec laquelle il me traitait.
— Gav ?
Je le fixai, encore contrarié avant de souffler, exaspéré.
— Hm, cédai-je, hochant la tête.
Je tournai aussitôt les talons, m'éloignant d'un pas décidé. Uriel salua Jacob de la main, et me suivit, calant son rythme sur le mien.

VOUS LISEZ
Anyone Except U
Teen FictionEntre Gavyn et Uriel existe une amitié de toujours. Plus que des amis, nos deux adolescents s'aiment comme des frères. Un lien fraternel qui sera mis à rude épreuve quand Gavyn ressentira des choses qu'il n'aurait jamais soup?onné jusqu'ici... Affe...