Anyone Except U

Le dîner s'était déroulé sans accroc. Uriel était resté pour la nuit. Et nous n'avions pas remis cette discussion sur le tapis. Un froid s'était installé en début de soirée ; nous avions passé le reste de la nuit sans réellement se parler. J'avais répondu à ses questions par des réponses brèves. Puis nous nous étions endormis.

J'avais beau avoir accueilli Uriel sous mes draps, quand son sommeil avait été perturbé par des cauchemars qu'il ne connaissait que trop bien. J'avais beau l'avoir réconforté, une main essuyant son front humide, le libérant des fines mèches qui s'y collaient. Lui avoir tendu la main, laissant Uriel la serrer dans une poigne destructrice... Au petit matin, les mots s'étaient échangés avec difficulté. Nos regards se fuyaient. Et une fois passé la porte d'entrée, nous ne ressemblions qu'à deux étrangers.

— Gavyn !

Lorsque j'entendis Jacob, je relevai mon regard du sol pour la première fois depuis que je m'étais mis en route pour le lycée.

— ...

Jacob me fixa. Avant que ses yeux n'observent autour de nous, et je savais déjà ce qui allait suivre...

— Tu n'es pas avec Uriel ?

Non.

— Gavyn ?

Quoi ?

— Il est où Uriel ?

Quand je me rendis compte qu'aucun son n'avait passé mes lèvres, je me contentai de hausser les épaules. Jacob passa son bras autour de mon cou et m'observa, cherchant je ne savais quelle réponse. Mais seul Uriel était capable d'un tel prodige... du moins quand son esprit n'était pas occupé par une arrivante sortie de nulle part.

— Et toi, ça va ?
— Pourquoi ça n'irait pas ? rétorquai-je aussitôt, nerfs à vif.
— ... Je ne sais pas. Je demande juste ?
— Ça va. Ça va même très bien !

Je me libérai de son étreinte d'un coup sec d'épaule, avant de filer, laissant un Jacob surpris à quelques mètres derrière moi. Alors que je filais pour mettre le plus de distance possible entre lui et moi, je fus très vite stoppé dans mon élan par la cause de ma mauvaise humeur. À quelques pas devant moi, Uriel m'observa et j'en fis de même. Incapable de dire quoi que ce soit, de faire le moindre geste.

— Gav...

Ne sachant quoi lui répondre, je me contentai d'un fin sourire, hochai la tête puis lui passai devant sans attendre qu'il ne surenchérisse.

J'ignorais ce qui avait changé entre lui et moi. Aucun de nous deux n'avions tenu des propos que nous aurions pu regretter. Notre "dispute" n'en avait pas vraiment été une. Et il restait encore bien des non-dits. Pourtant, sans même s'être hurlé dessus, avant même d'avoir pu exprimer un éventuel désaccord, nous nous étions éloignés l'un de l'autre.

Aujourd'hui, je me rendis compte que nos prises de tête précédentes n'étaient que d'espiègles chamailleries que notre amitié avait su dépasser sans le moindre mal. Que des secrets nous mettaient bien plus à l'épreuve... et que j'en étais l'unique responsable.

Je savais être le seul à mettre de la distance entre nous. Comment aurais-je pu l'ignorer ! Mais c'était dur... Je suffoquais à la simple idée de le savoir avec une autre. Mes larmes menaçaient d'apparaître chaque fois que je me trouvais en leur compagnie. Et je n'arrivais même plus à lui sourire. Je ne pouvais juste plus faire semblant. Je ne savais pas pour combien de temps encore je devrais agir ainsi. Combien d'années, de mois, de semaines ou de jours à être spectateur de leur relation ? J'ignorais même si ce flirt allait aboutir à quelque chose, et j'espérais égoïstement que ce ne soit jamais le cas. Mais ce dont je pouvais être sûr était de mon besoin de souffler.