Les cris résonnaient encore dans les couloirs. Des hurlements inhumains, mêlés à des appels à l’aide étouffés. Du sang tapissait les murs, les vitres étaient brisées, et le lycée Hyosan, autrefois animé, n’était plus qu’un piège mortel.
Tp courait, les poumons en feu, le cœur tambourinant dans sa poitrine. Elle s’était retrouvée seule, séparée de son groupe après une attaque soudaine dans la bibliothèque. Elle ne savait pas qui avait survécu. Elle ne savait même pas si elle survivrait encore dix minutes.
Elle tourna brusquement dans un couloir, manqua de glisser sur une flaque de sang, et se heurta à une silhouette.
Une silhouette qu’elle aurait préféré éviter à tout prix.
Gwi-nam.
Il était là. Immobile. Les yeux noirs, injectés de sang. Sa chemise déchirée laissait entrevoir les traces de morsures qu’il avait pourtant survécu à. Pas comme les autres. Il n’était pas humain, pas vraiment. Et pourtant… pas tout à fait zombie non plus.
— Toi, grogna-t-il en plissant les yeux. T’étais avec eux… les lâches.
Tp recula d’un pas. Elle savait ce qu’il était. Un monstre. Un tueur. Même avant l’épidémie, il était craint. Maintenant, il était devenu bien pire.
— Gwi-nam… Je… je veux juste passer, dit-elle d’une voix basse.
Il ricana.
— Tu crois que c’est un jeu ? Que je vais te laisser partir ?
Son regard glissa sur elle, et un rictus étrange se dessina sur ses lèvres.
— T’as peur de moi, hein ?
— Comme tout le monde, dit-elle, la gorge nouée.
Mais il ne bougea pas. Et au lieu de se jeter sur elle comme elle s’y attendait, il tourna la tête.
— Si j’étais toi, je m’inquiéterais plus pour ce qui arrive derrière.
Elle se retourna — deux infectés fonçaient vers eux.
Elle n’eut pas le temps de réfléchir : Gwi-nam se précipita sur eux avec une vitesse inhumaine, les plaqua contre le mur et les éclata sans pitié. Le bruit des os broyés résonna dans le couloir.
Tp le regarda, tremblante.
Il se retourna vers elle, le visage éclaboussé de sang.
— Maintenant, tu me dois quelque chose, murmura-t-il.
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Il l’avait conduite jusqu’au toit d’un bâtiment isolé. Un ancien local de maintenance. Étrangement, il n’y avait pas de zombies autour.
— Comment tu sais où c’est sûr ? demanda-t-elle, méfiante.
— Parce que je suis devenu ce qu’ils sont. Mais en mieux.
Elle s’assit à l’écart, tremblante. Elle avait froid, faim… et elle ne comprenait pas pourquoi il ne l’avait pas tuée.
Gwi-nam s’approcha d’elle.
— Tu crois que je fais ça parce que je suis gentil ? C’est pas ça. C’est juste que t’es… différente. T’as pas crié. Pas supplié.
— Tu veux une médaille ? cracha-t-elle.
Il rit.
— Non. Je veux savoir pourquoi tu me regardes comme si j’étais encore humain.
Elle soutint son regard. Il y avait de la colère en elle. De la peur aussi. Mais au fond… un trouble inexplicable.
— Peut-être parce que je veux encore croire qu’il reste quelque chose d’humain chez toi.
Il resta silencieux. Pour la première fois, il ne répondit pas. Son expression changea. Presque… douloureuse.
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Les jours passèrent. Les morts régnaient, mais eux deux survivaient. Unis par une sorte d’accord tacite. Gwi-nam la protégeait. Tp partageait les rares ressources qu’elle trouvait. Ils ne parlaient pas beaucoup, mais leurs regards étaient de plus en plus longs. Lourds de tensions. De non-dits.
Une nuit, alors qu’elle dormait, elle se réveilla en sursaut — cauchemar.
Il était assis dans un coin, les bras croisés.
— T’as crié, murmura-t-il.
Elle hocha la tête, les larmes aux yeux.
Il s’approcha sans un mot et s’assit près d’elle. Trop près.
— Je suis pas un héros, tu sais. Je t’ai sauvée parce que… y’a que toi qui me regarde sans dégoût.
— C’est faux, murmura-t-elle.
Il lui saisit le menton, doucement, à sa grande surprise.
— Tu me détestes, mais t’as peur de ce que tu ressens aussi. Comme moi.
Leurs visages étaient à quelques centimètres.
— Si tu m’embrasses, murmura-t-elle, je te plante ce couteau dans le ventre.
Il sourit.
— Peut-être que je prendrai le risque.
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Les jours s’égrenaient dans une sorte de routine étrange. Chaque matin, Tp ouvrait les yeux dans ce monde mort, et il était là. Gwi-nam. Toujours à moitié dans l’ombre, comme une bête prête à attaquer. Mais il ne le faisait jamais. Pas contre elle.
Elle ne savait pas quand ça avait changé. Peut-être la nuit où elle avait pleuré, et qu’il lui avait tendu une couverture sans un mot. Ou quand il s’était interposé entre elle et un infecté, en prenant un coup de couteau à sa place — sans broncher.
Un jour, alors qu’ils fouillaient un supermarché abandonné, elle le regarda plus longtemps que d’habitude. Son profil marqué, ses mains pleines de cicatrices, et pourtant… sa manière de surveiller les alentours pour elle.
— Tu t’inquiètes pour moi ? lui demanda-t-elle, moqueuse.
Il haussa les épaules.
— J’te préfère vivante que morte. T’es moins chiante comme ça.
— T’es presque mignon quand tu fais semblant d’avoir un cœur.
Il s’arrêta net. La regarda. Et pour la première fois, son regard était différent. Plus doux. Plus... humain.
— Peut-être que j’en ai un. Mais tu l’as réveillé, et je sais pas si je dois te détester ou t’embrasser pour ça.
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Le soir venu, ils s’installèrent dans un grenier abandonné. Il pleuvait fort, l’orage grondait au loin. La radio grésillait encore — un signal de détresse en boucle, sans fin.
Tp le fixait. Il était resté dos à elle. Silencieux. Tendu.
Elle s’approcha, posa la main sur son bras.
— Gwi-nam…
Il se retourna. Lentement. Ses yeux n’étaient plus les mêmes. Il y avait quelque chose de cassé dedans. Quelque chose qui se battait.
— J’ai fait des choses horribles, murmura-t-il. Et toi… t’es là. T’as pas fui. Pourquoi ?
Elle inspira, posant ses doigts contre sa joue rugueuse.
— Parce que dans ce monde, personne n’est resté pur. Mais toi, tu me vois. Tu me protèges. Et moi… je te vois aussi.
Il baissa les yeux. Puis ses lèvres frôlèrent les siennes. D’abord doucement. Comme s’il craignait de la briser.
Mais elle répondit, et ce fut comme une explosion.
Le baiser fut sauvage. Fiévreux. Un mélange de rage, de survie, et de passion. Il la serra contre lui comme s’il allait la perdre. Elle l’embrassa comme s’il était la seule chose réelle dans ce cauchemar.
Et cette nuit-là, dans les ruines d’un monde effondré, ils firent l’amour comme deux âmes brisées qui s’accrochaient à une dernière étincelle d’humanité.
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Le lendemain, tout avait changé. Ils n’étaient plus des ennemis. Ils n’étaient même plus seulement des alliés.
Ils étaient ensemble.
Quand elle trébucha dans un bâtiment piégé, il la rattrapa.
Quand un groupe de survivants tenta de les voler, il en tua deux pour elle, sans une hésitation.
Et quand elle lui demanda s’il regrettait ce qu’ils étaient devenus, il répondit :
— Je regrette rien… sauf de pas t’avoir rencontrée avant que ce monde parte en vrille.
Elle sourit, les larmes aux yeux.
— Peut-être qu’on n’aurait jamais été ensemble avant. T’étais un connard, rappelle-toi.
Il rit, un vrai rire.
— Et toi, t’étais sûrement chiante aussi.
— Totalement.
Ils restèrent là, au sommet d’un immeuble, main dans la main, entourés par les ruines d’un monde perdu.
— Tu crois qu’on peut construire quelque chose ? murmura-t-elle.
Il tourna la tête vers elle.
— Pas grand-chose… Mais on peut commencer par rester vivants. Ensemble.
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Des mois plus tard, ils avaient trouvé un refuge. Une zone sécurisée, entourée de grilles. Le monde n’était pas redevenu normal, mais eux… ils avaient trouvé une normalité à deux.
Parfois, les autres se méfiaient de lui. Il ne parlait pas. Ne souriait pas. Mais quand Tp entrait dans la pièce, son regard s’adoucissait, et il se levait pour l’accueillir.
Ils n’avaient pas besoin de mots. Pas besoin de promesses.
Ils avaient survécu à la fin du monde.
Et dans cette apocalypse, Gwi-nam avait trouvé la seule personne capable de voir le monstre… et de l’aimer quand même.
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