— Excuse-moi, je ne sous entendais pas que...
— Laisse tomber, je te ramène, me coupa-telle.
Sur ces mots cinglants, elle partit en trombe en direction du petit appartement familial. Une fois à hauteur du balcon, je descendis lentement, et me retournai en sa direction.
— Je suis désolé, Ly', je te promet que je ne voulais pas te blesser... suppliai-je.
— Je sais. Profite du temps qu'il te reste avec ton père, Ethy. Comme tu l'as si bien dit, moi, je n'ai pas eu cette chance.
Puis la portière se referma, sous mes yeux dévastés, avant de l'observer disparaître à travers la brume opaque de cette nuit sombre.
Je passai par la baie vitrée de ma chambre et rejoignis mes pères dans le petit salon de notre appartement. Ils avaient tous les deux les yeux rougis par les larmes, serrés l'un contre l'autre. Lorsque j'apparus dans leur champs de vision, ils se levèrent pour me serrer dans leurs bras chaleureux. Nos larmes reprirent de plus belle. Cette pièce qui abritait autrefois nos rires, s'emplit désormais de nos sanglots silencieux.
Nous n'avions pas trouvé l'appétit ce soir-là. Et le sommeil n'avait davantage voulu de nous.
Nous étions restés toute la nuit, en famille, dans ce salon sombre, simplement éclairé par les néons verts entourant le plafond et longeant les angles des quatre murs.
J'avais appelé Gabriel à l'aube. Il m'avait donné rendez-vous à quelques kilomètres de chez moi. Je pris la décision de le rejoindre à pied. Intrigué par son apparition soudaine et aux raisons qui en découlaient, j'avais besoin de prendre le temps nécessaire pour envisager tous les scénarios possibles.
Comme chaque jour qui passait, j'arpentais ces rues nitescentes, sillonnant le vent chaud matinal.
J'étais à une bonne demi-heure encore du point de rendez-vous, quand j'entrai dans une ruelle sombre. L'ambiance était radicalement différente. Là où précédemment le monde affluait, ici, il n'y avait personne. Seules les lumières de la ville se tamisaient le long des parois qui m'entouraient. Les néons polychromes les plus proches se reflétaient dans l'humidité stagnante du sol, m'aidant à traverser ce chemin sinistre. Lorsque j'arrivais enfin au point de rendez-vous, Gabriel m'interpella joyeusement, adossé à une immense double-porte rouillée.
— Bro, te voilà enfin ! T'en a mis du temps, dis-moi... Je t'ai fais si peur que ça hier ? Désolé si c'est le cas, vraiment, je ne voulais pas ! Comment tu vas ? sourit-il chaleureusement en me serrant énergiquement la main.
— Je suis juste venu à pied, tu ne m'a pas dit pourquoi je devais venir ici, alors... J'avais besoin de réfléchir un peu, je crois, le rassurai-je.
Il me gratifia d'un large sourire rassuré, probablement, m'ouvrit la porte puis m'invita à entrer. Je m'exécutai, Gabriel à ma suite. Un immense couloir décoré de tags éclairés par de grands néons orange nous devançaient. Je le suivis lentement, admirant chaque œuvre sur les murs. Cela me parut faire une éternité que je n'en avais pas vu.
— T'en fais pas, je vais te présenter quelqu'un. Il saura mieux t'expliquer que moi... Je parle trop, je partirai dans tous les sens donc tu ne vas rien comprendre, crois-moi ! Par contre, excuse-le, il n'est pas très matinal, alors... il risque d'être un peu bougon, ne lui en tient pas rigueur, ok ? débita-t-il.
J'acquiesçai silencieusement. Il ne mentait pas, c'était un grand bavard. Nous allions incontestablement bien nous entendre, tous les deux.
Il ouvrit une seconde porte en métal, également taguée sur toute sa largeur. « R.A.I.A » y était inscrit en son centre.
— Putain de logiciel à la con ! hurla une voix, qui me fit sursauter.
— Et voilà, je te l'avais dit... me susurra Gabriel. Kyle, notre invité est là, sois plus accueillant, pour une fois !
— Je t'emmerde, Gab, répliqua-t-il, le gratifiant d'un doigt d'honneur.
Mon voisin s'en amusa puis m'incita à avancer d'une main dans le dos.
— Bonjour, saluai-je l'inconnu devant moi.
— Ouais, salut. Ethan, c'est ça ? J'imagine que ce connard ne t'as rien dit sur la raison de ta présence ici.
— Non, il m'a dit que vous m'expliqueriez parce qu'il parle trop et que je n'allais rien comp...
Il poussa un bruyant soupir tout en collant une main contre son front, me coupant dans mon monologue naissant.
— J'y crois pas, un Gabriel numéro deux... si je m'y attendais à celle-là... soupira-t-il.
Mal à l'aise, je ne répliquai pas, Gabriel s'en chargea à ma place.
— Bro, détend-toi un peu ! Merde, il vient d'arriver, tu ne peux pas faire bonne impression, deux minutes ? s'agaça-t-il.
— Je t'emmerde.
Un rire nerveux sortit malgré moi, ce qui sembla quelque peu détendre Gabriel. Pour ce qui était du grand blond, il resta impassible.
Je profitai de ce silence étrange pour observer minutieusement la pièce. Je n'en avais jamais vu de telle. Elle était immense, entièrement bétonnée. Une grande quantité de matériel informatique était éparpillée dans toute sa longueur. Dans un angle trônait une sublime batterie ancienne, ajoutant une touche de nostalgie interdite. Des peintures et photographies habillaient les murs grisâtres, d'innombrables bouquins poussiéreux étaient organisés dans une immense bibliothèque et quelques sculptures étaient joliment présentées sur de petites étagères, disposées au sol.
Je m'approchai lentement d'un des tableaux. J'y étais comme attiré, il m'intriguait. Il m'appelait, me suppliait de le découvrir. Je ne pus retenir une larme en l'analysant. Cette jeune fille larmoyante qu'il représentait me comprenait, j'en étais convaincu. Où peut-être était-ce moi, qui la comprenait ? Nous avions la même douleur, elle et moi, à cet instant, l'un en face de l'autre. C'était la première fois qu'une œuvre me touchait autant, et pour cause : je n'en avais pas vu depuis plus de quatorze ans. Pour un premier retour dans le passé, cette expérience fut plutôt bouleversante.
Un raclement de gorge discret me fit me retourner en sursaut, me coupant dans mon immersive contemplation.
— Bon, par où commencer... réfléchit Kyle.
— Vous pourriez déjà me dire ce que je fais là, non ?
Les deux hommes se regardèrent, hésitants. C'était probablement ce qu'ils sous-entendaient par le « par où commencer ».
— Ok, je vois... Comment vous savez qui je suis ? Et comment vous m'avez trouvé ? Puis pourquoi mon traceur s'est activé et après, plus rien ? Qu'est-ce que vous...
— Doucement, une question à la fois ! m'interrompit Kyle. Je n'ai vraiment pas l'énergie pour deux Gab, ce matin...
Le jeune blond se pinça l'arête du nez, visiblement épuisé.
— Je crois que le plus simple serait de nous présenter, tu ne crois pas ? proposa Gabriel.
Son ami prit une grande inspiration en acquiesçant, se préparant mentalement à me noyer d'informations.
— Nous somme le groupe RAIA, Résistants Anti-Intelligences Artificielles. On se bat secrètement pour que la liberté individuelle revienne au goût du jour, en quelque sorte. Enfin... chacun ici a ses propres combats persos.
J'étais dans l'incompréhension la plus totale, et ça ne s'arrangea pas davantage quand Gabriel conclut, d'une voix triste, les premières explications de son ami.
— Et tu ne devrais pas tarder à trouver le tien, Ethan.

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R.A.I.A
Science FictionL'an 2044, la planète se meurt sous les yeux du peuple, aveuglés par la censure et la manipulation des Corporations du monde entier. En peu de temps, l'intelligence artificielle a pris une place majeure dans la survie de l'être humain. Des centain...
Chapitre 3
Depuis le début