R.A.I.A

Neziah

Depuis deux semaines, nous n'avions pas revus Ethan. L'inquiétude grandissait en chacun de nous. Sans comprendre pourquoi, son traceur était bloqué la journée, mais actif le soir et la nuit. J'avais insisté de nombreuses fois auprès de Gabriel pour qu'il aille le voir, mais il avait refusé à chacune de mes supplications. Une chose était sûre : il avait quitté RAIA.

Nous pensions tous qu'il était en colère contre nous pour ce que nous avions faits, et il ne semblait pas en comprendre les raisons, malgré les explications de Kyle. Il fallait que tout le monde soit au courant pour éviter des morts inutiles chez les Néos. Et si le gouvernements venait à tuer des innocents, les Néos comprendraient que les rumeurs étaient vraies. Alors, il y aurait une révolte extrême.

Par chance, Cornélius Venra restait dans le silence. Certains pensaient que les rumeurs n'étaient pas remontées jusqu'à lui, d'autres étaient convaincus qu'elle étaient fausses. Notre plan fonctionnait à la perfection : le doute était semé chez tout le monde. Nous comptions commencer notre guerre d'ici un an, tout en dévoilant secrètement de nouvelles informations tous les mois.

Nous avions besoin d'Ethan, pour arriver à nos fins. C'était indéniable. Je comprenais parfaitement qu'il veuille prendre du recul, passer du temps avec son père et se plonger dans son travail pour se changer les idées. Mais son comportement avant son départ ne collait pas avec son absence.

Il me répétait être heureux de faire des concerts avec moi. Il semblait incapable de se séparer de nous. Il n'avait jamais eu d'impulsivité assez forte pour en arriver à nous oublier aussi vite, pendant aussi longtemps.

Puis, le coup du traceur nous inquiétait. Il ne pouvait être en voyage chaque jour, pendant plus d'une heure. C'était impossible. À moins qu'il prenne des décisions dont il n'avait aucune conscience du danger dans lequel il se mettrait, si quiconque venait à le découvrir.

Avec Gabriel et Shay, nous avions évoqués toutes les théories les plus farfelues quant à ses agissements, mais nous n'arrivions jamais à se mettre d'accord. Il y avait toujours un élément qui contredisait nos propos.

Kyle refusait d'interféré avec nous sur le sujet de son cousin. D'ailleurs, il ne nous parlait plus, lui non plus. Nous étions tous les jours présents, mais il refusait de nous adresser la parole et préférait rester figé sur ses écrans. Sa colère grandissait de jour en jour depuis l'absence d'Ethan. Je ne pouvais que le comprendre. Le connaissant, il devait voir cela comme une trahison : il avait retrouvé sa famille, il s'était confié à lui comme il ne l'avait fait avec personne, il lui avait donné sa confiance. Tout ça pour être abandonné du jour au lendemain.

J'éprouvais de la colère contre Ethan plus pour ce qu'il faisait endurer au seul membre de sa famille qu'il allait bientôt lui rester, plutôt que pour ce qu'il me faisait ressentir, personnellement.

Gabriel fit son apparition à RAIA en début de soirée. Cette fois non plus ne dérogea pas à mon entêtement.

— Il faut que t'active son traceur et que tu...

— Non, Neziah. Laisse-le revenir de lui-même. Arrête d'insister, me coupa-t-il.

Je ravalai ma haine et repris ma guitare. La musique était le seul moyen de vider mes émotions, de prendre un moment de répit sur mes troubles pensées qui m'envahissaient.

Je n'arrivais pas à jouer comme je le voulais. Ma colère se faisait ressentir chacune des notes qui résonnaient dans la pièce. Pour une chanson d'amour mélancolique, c'était plutôt contradictoire.

Je reprenais inlassablement mes partitions afin d'obtenir les sonorités que je recherchais, jusqu'à ce que le visage d'Ethan s'affiche sur l'écran de Kyle, en premier plan. Ce n'était comme si je surveillais ce qu'il faisait, bien au contraire, mais je l'avais aperçu dans l'angle de mon champ de vision. Il m'aurait été impossible d'en détourner le regard, même si je l'avais voulu.

— Kyle, met le son, ordonnai-je froidement.

Il se tendit, mais s'exécuta. Gabriel et Shay nous rejoignirent. Nous étions collés tous les quatre, prêts à ne rien rater de ce qui nous attendait.

Il avait étrangement changé. Il avait troqué son éternelle veste en cuir à néons bleus pour un costar de satin noir. Ses cheveux charbons étaient coiffés en arrière, contrairement à ses habitudes, où il les laissait en bataille. Je ne l'imaginais pas les avoir brossés une seule fois dans sa vie, jusqu'à ce jour. Sa barbe, elle aussi, était parfaitement taillée. Si je ne le connaissais pas, j'aurais été certaine qu'il était un Cyberarco. Il en était le profil idéal.

D'autant plus lorsqu'il se posta froidement devant le micro, l'air chaleureux et grave à la fois. Sa voix résonna dans un silence de plomb que sa prestance imposait naturellement. À ces vibrations, un frisson me traversa la colonne vertébrale.

— Bonjour à tous. Je me présente, Ethan Smith, le Sénéchal de Monsieur Cornélius Venra. En tant que nouveau membre de MegaCorp, je tiens à vous informer, très cher peuple, que je tiendrai désormais les discours de notre Monarque. Ayant été son technicien de maintenance durant les deux semaines précédentes, j'ai remarqué des tentatives de piratage sur nos serveurs. Je sais sans nul doute qu'ils proviennent de certains Néo-Streets. Monsieur Venra demande à ce que les coupables se dénoncent. Si cela n'est pas fait dans les vingt-quatre heures qui suivent, le MegaCorp sera dans l'obligation d'agir en conséquence et de procéder à des arrestations chez tous les potentiels suspects. Rassurez-vous, votre Monarque vous promet consilience envers ceux qui respecteront notre demande. Très cher peuple, je vous remercie pour votre attention et votre coopération.

Nous l'observions s'éloigner, puis l'image s'effaça pour revenir aux codages dont s'occupait Kyle, une minute auparavant.

Mes poings se serrèrent sur le dossier du fauteuil de Kyle qui semblait impassible. Shay se tétanisa face au discours d'Ethan. Gabriel partit en furie du bâtiment. Le monde nous tombait sur la tête. Toutes les théories que nous avions pu imaginer durant ces deux longues semaines étaient belles et bien fausses. Il nous avait trahi. Il avait trahi sa propre classe sociale. Il était rentré dans le clan de ces monstres, ces criminels, ces barbares, ces fléaux de notre monde qui avaient détruits nos vie, et notre planète.

Pour quelle raison agissait-il ainsi ? Qu'est-ce qui pouvait bien lui avoir pris de rentrer dans le clan ennemi ? Surtout après tout ce que nous lui avions confié ? Depuis le premier jour à RAIA, il éprouvait une haine viscérale envers ce gouvernement perverti. Et voilà qu'il le rejoignait sans le moindre scrupule. Il avait vendu son âme au corbeau. Le démon de notre univers.

C'était impensable. Surréaliste.

Je n'avais jamais connu pareille trahison. Je ne m'étais jamais livré à plein cœur à quelqu'un comme je l'avais fait avec lui. Pas même à mon regretté mari. Je lui avais laissé libre accès à l'objet le plus cher à mon cœur. Sa batterie. Celle dont personne n'avait l'autorisation ne serait-ce que de l'effleurer.

Après le décès de mon mari, j'avais laissé un homme briser le béton qui enfermait mon cœur. Cet homme m'avait trahi en rejoignant le clan de ses assassins.

Je me détestais autant que je le détestais. Je m'étais laissé tomber amoureuse d'un renégat. J'étais face à ma plus grande peur : avoir le sentiment de tromper mon défunt mari.

Pour ça j'allais m'en vouloir pendant un long moment, et j'allais devoir expulser cette haine, d'une manière ou d'une autre.

Si je n'avais pas rapidement d'explications sincères, il y allait avoir des dommages collatéraux, sur mon chemin vers la rédemption.